La productivité est la responsabilité de tous. Tout l'environnement interne et externe de l'entreprise doit converger vers cet objectif, car c'est une clé de sa compétitivité et par conséquent de sa survie. L'organisation syndicale, en tant que principale pièce maîtresse dans la vie de l'entreprise, doit contribuer activement à cet objectif. Dans le cadre d'une crise économique aigue, et au moment du dénouement de l'issue des principales négociations salariales, quel lien peut-on établir, en positif ou en négatif, entre l'action des syndicats et l'efficacité économique ? Au-delà de leur rôle sur le montant des salaires, les syndicats pèsent nécessairement sur la productivité, l'innovation et le niveau des investissements. Mais comment peut-on mesurer cette influence ?
Entre préjugés et réalité : Poser la question à un chef d'entreprise : qu'est-ce vous craignez le plus, votre femme ou votre syndicat ? Il vous répondra : mon syndicat. La relation entre le chef d'entreprise et les syndicats est constamment placée sous le signe du conflit. Or ce n'est pas toujours le cas, et ce n'est pas la situation la plus normale dans une entreprise qui se veut performante. Selon la perception la plus répandue les syndicats sont considérés comme obstacle à tout changement. On considère, à tort ou à raison, qu'ils bloquent le développement de l'entreprise par les revendications incessantes. Selon l'appréciation de plusieurs dirigeants et chefs d'entreprises le syndicat : o Impose des règles très contraignantes dans la gestion de l'entreprise ce qui réduit la marge de manœuvre du dirigeant, o Constitue un obstacle à tout effort d'innovation et de changement au sein de l'entreprise, ce qui ne permet pas à l'entreprise d'évoluer, o La dénonciation de ces pratiques au sein de l'entreprise et l'esprit de revendication permanent, réduisent considérablement la motivation des employés, o S'oppose à tout système basé sur la rémunération à la performance, car il le juge injuste et peut léser les droits des travailleurs, puisque l'appréciation dépend généralement du chef de l'entreprise. o Impose une révision permanente des salaires à la hausse, ce qui peut constituer un fardeau financier pour l'entreprise, o Casse le consensus autour des priorités de l'entreprise, et l'esprit d'équipe. o Conduit des grèves dans le cas ou on ne répond pas à leurs revendications et leurs demandes. Ces grèves nuisent gravement au rendement de l'entreprise, ses performances et sa productivité, surtout celle du capital.
Or, Il est bien évident que parmi les principales fonctions assignées au syndicat, c'est celle de la contribution efficace à l'augmentation de la production et de la productivité du travail. Il s'agit, en fait, du rôle des syndicats dans l'élévation constante du niveau de conscience des travailleurs par un renforcement de la discipline du travail favorisant un gain de productivité. En effet, dans le cadre de la conjoncture actuelle, qui se caractérise par une compétitivité accrue, les entreprises sont tenues d'être "des lieux de haute performance" par « le biais de l'innovation technologique et de nouveaux types d'organisation du travail, basés sur des compétences plus élevées et plus diversifiées, des relations professionnelles fiables et moins hiérarchisées. Pour arriver à réaliser ces objectifs, l'implication des travailleurs et des syndicats est nécessaire et peut assurer des gains de productivité et d'emplois.
La place des syndicats dans l'entreprise est centrale, et leur rôle dans l'amélioration de ces performances est important. Selon une autre vision, les syndicats sont un moteur de la compétitivité et de la productivité au sein du lieu du travail. En effet, 1. La présence d'un syndicat permet, dans la majeure partie des cas, de réduire les licenciements abusifs ou injustifiés. C'est ainsi que l'entreprise est obligée parfois, de garder un employé qu'elle a formé et qui a acquis une bonne expérience. Cette situation permet de diminuer la mobilité des travailleurs les plus insatisfaits, et donc les coûts que cela entraîne pour l'entreprise.
2. La recherche permanente des syndicats à améliorer les salaires des travailleurs, permet d'élever le niveau de rémunération au sein de l'entreprise. Or, avec des salaires plus élevés l'entreprise attire un personnel plus qualifié.
3. La sécurisation du travail : un environnement de sécurité et de responsabilité permet aux employés d'avoir un rendement plus stable et efficace. En effet, si le travailleur est convaincu qu'il est couvert et soutenu par un syndicat fort, il se sentira plus engagé à l'amélioration des performances de l'entreprise.
4. Le syndicat a un rôle important dans l'amélioration des relations au sein de l'entreprise. En effet, les employés syndiqués se sentent liés par un objectif et des soucis communs. Cette ambiance améliore la coopération dans le milieu du travail et par conséquent l'esprit d'équipe et la performance au travail. Ceci se traduit automatiquement par une amélioration de la productivité.
5. En favorisant la hausse des salaires et en structurant les rémunérations autour d'un certain nombre de normes, l'activité du syndicat facilite le travail de gestion du personnel. Elle permet à l'encadrement de faire son travail plus efficacement.
6. La présence du syndicat instaure un environnement de communication entre les employés et les cadres, qui malheureusement tourne parfois, au dialogue de « sourds ». Cet échange permet de présenter l'avis des travailleurs sur le mode de gestion, les coûts de fonctionnement, les défaillances dans le système de production,….Le canal syndical est un élément efficace qui favorise la communication, ce qui débouche sur une amélioration considérable de la productivité et permet à l'entreprise d'éviter certaines menaces.
Les recherches empiriques montrent un impact positif des syndicats sur la productivité : Deux grands chercheurs se sont penchés sur la question du rôle des syndicats dans l'amélioration des performances économiques de l'entreprise. Ce sont Richard B. Freeman du “National Bureau of Economic Research (NBER); University of Edinburgh” et James L. Medoff de Harvard University. Ils ont publié plusieurs recherches à ce niveau dont notamment “ The Two Faces of Unionism » ou les deux faces du syndicalisme. Selon Freeman et Medoff, c'est une erreur de croire que la présence d'un syndicalisme actif dans l'entreprise nuit à la productivité. Leurs observations montrent que dans de nombreux secteurs c'est l'inverse. Les établissements syndiqués afficheraient, dans l'ensemble, une productivité plus élevée. L'explication en serait simple. Le monopole syndical incite l'encadrement à embaucher une main-d'oeuvre plus qualifiée pour ajuster la productivité aux salaires versés. La moindre mobilité et l'amélioration des méthodes de gestion assurent une coopération plus efficace au sein de l'entreprise elles réduisent les occasions de conflit et donc les coûts internes. Certes, le syndicat a le moyen d'imposer des conditions restrictives de travail mais, les analyses empiriques démontrent que la productivité serait en gros supérieure de 20 à 30 % dans les établissements les plus syndiqués.
La crise et la montée du syndicalisme : Avec la crise économique qui bat son plein, les relations syndicales se détériorent encore plus. D'un côté les patrons qui veulent sauver leurs entreprises au détriment des travailleurs, et de l'autre les travailleurs qui ne veulent pas être les premiers à payer les pots cassés et jugent que les patrons ont beaucoup gagné sur leurs dos. Dans ce contexte, difficile d'évaluer l'impact des syndicats sur la productivité dans l'entreprise. Plusieurs entreprises connaissent déjà des difficultés importantes à cause de la crise économique et sont tenues d'améliorer leurs performances pour surpasser la conjoncture difficile. Lors de l'actuel round de négociations salariales en Tunisie, l'Union générale des Travailleurs Tunisiens, unique syndicat, n'a pas montré la souplesse attendue par les patrons dans les négociations. Ceci explique le retard accusé dans certains secteurs du privé et surtout du public dans la signature des accords. La position, de l'UGTT est fort défendable. Le secrétaire général a appelé à maintes reprises à ne pas se cacher derrière la crise pour faire payer aux salariés les impacts négatifs de cette crise. Une chose est sûre; lorsque le climat des relations patronales-syndicales est positif, l'effet sur la productivité est positif. Dans ce cadre il faut impérativement penser à un pacte social sur la productivité et l'emploi à l'occasion du dialogue national sur la productivité dont les résultats seront connus à la fin du mois. Espérons que ce thème n'échappera pas aux discussions.