Avant propos : Nous entamons aujourd'hui une série d'articles autour du thème de la productivité. Ce thème a été toujours au centre de l'intérêt des décideurs politiques en Tunisie, du patronat et du syndicat des travailleurs. Le président de la République a ordonné le mois dernier l'organisation d'un dialogue national au sujet de l'amélioration de la productivité, avec la participation de différentes parties et compétences nationales. Il a aussi donné ses directives pour la création d'une commission technique nationale chargée de superviser l'actualisation des études sur l'évolution des facteurs de la productivité, en Tunisie, et l'élaboration d'études comparatives, avec les pays qui ont acquis des traditions, en matière de promotion de la productivité. Cette commission technique vient de faire sa première réunion sous la présidence du premier Ministre. Dans le cadre de cet effort national, l'Expert publie cette série d'articles qui se focaliseront autour du cadre théorique de la productivité, la productivité en Tunisie et sa comparaison avec d'autres pays, et les moyens à mettre en œuvre pour améliorer cette productivité.
La crise économique mondiale a remis la lumière autour de plusieurs facteurs de croissance économique et de compétitivité, qui étaient dans l'ombre d'une croissance économique, jugée naturelle et automatique. Dans un cadre de baisse de rythme de croissance à l'échelle mondiale, il est impératif d'aller la chercher dans les différents axes et facteurs. Certains pays ont préconisé des solutions basées sur la relance de la consommation, d'autres sur l'impulsion de l'investissement, et certains autres autour de la sécurisation du système financier. Ces solutions, ont chacune ses arguments et ses spécificités selon la situation du pays. La promotion de la productivité dans ce cadre morose de l'économie mondiale, s'impose aussi comme une piste importante de relance économique. L'investissement dans la productivité est un investissement à long terme, mais dans l'urgence de la situation actuelle, cette solution semble mise à l'écart pour certains. Or c'est dans le long terme qu'il faut se projeter en temps de crises. Sans oublier de signaler que l'amélioration de la productivité est considérée comme un processus continue. L'appréhension de la productivité et de son impact sur le développement économique, l'emploi et le pouvoir d'achat est assez ambiguë, nous allons essayer de la vulgariser pour nos chers lecteurs.
La productivité : outil de mesure de l'efficacité du système productif : Selon le Bureau International « La productivité exprime le rapport entre la quantité produite et la quantité de facteurs utilisés pour obtenir cette production. Elle augmente lorsque la production augmente plus que les facteurs ou lorsque la même production est obtenue avec moins de facteurs» En d'autres termes la productivité est un outil de mesure de l'efficacité du système productif, ce qui revient à mesurer la production d'une quantité donnée avec moins de facteurs de production (capital et travail). Au fait il existe plusieurs types de productivités et plusieurs moyens de mesures utilisées. On distingue la productivité du capital qui revient à faire le rapport entre la quantité produite et la quantité de capital investi, ou la Productivité Globale des Facteurs qui exprime le rapport entre la quantité de capital et de travail mis en œuvre pour la production d'une quantité de produits. La productivité la plus utilisées par les analystes de productivité est la productivité du travail, qui exprime le rapport entre le production et la quantité de travail employée dans le processus de production. Selon la littérature économique la notion de productivité doit être distinguée d'autres notions analogues. En effet, il faut distinguer productivité et rentabilité. « Quand on parle productivité, on parle production et quantité de facteurs de production utilisée pour produire ; quand on parle rentabilité, on parle profits ». Ce sont deux choses différentes, même si elles ne sont pas complètement sans lien. Ainsi si la productivité s'élève rapidement, on peut penser que les profits font de même. Cependant, il existe des activités très rentables alors même que la productivité y est relativement faible. Il ne faut surtout pas aussi confondre la productivité avec la notion de compétitivité. « Une entreprise peut avoir une productivité en hausse et d'un niveau relativement élevé sans être forcément très compétitive. La compétitivité est la capacité à conserver et à gagner des parts de marché. Celle-ci dépend du prix de vente et des qualités du produit vendu ». La pratique économique nous montre plusieurs exemples ou la compétitivité du produit peut être médiocre alors même que la productivité de l'entreprise est élevée. Cependant une productivité élevée est un atout du point de vue de la compétitivité. Mais ce n'est pas le seul.
Les multiples facettes de l'amélioration de la productivité : L'impact de la productivité dans l'économie d'un pays revêt plusieurs facettes. En effet, une productivité en croissance continue développe nettement les performances économiques d'un pays ou d'une entreprise. Les relations entre la productivité et plusieurs autres éléments tel que l'emploi, le pouvoir d'achat, la compétitivité, la croissance économique, l'exportation,… ne sont pas difficiles à établir. En effet, les gains de productivité sont importants car ils peuvent se traduire par : o des augmentations plus rapides de salaires réels pour les travailleurs, ce qui peut entraîner une hausse de leur pouvoir d'achat; o des baisses de prix relatifs pour les consommateurs, ce qui peut conduire aussi à une amélioration du pouvoir d'achat; o une hausse des profits pour les entreprises, ce qui peut favoriser l'investissement, o une meilleure qualité des produits ou services d'ou une compétitivité importante et une plus grande part de marché, o augmentation des exportations grâce à des prix compétitifs et une qualité meilleure.
Selon certaines études économiques réalisées autour de la productivité dans les pays de l'OCDE, il ne faut que 24 ans pour doubler le revenu réel par habitant à un rythme annuel de croissance de la productivité du travail de 3 %, mais 36 ans si ce pourcentage est de 2 % et 72 ans s'il s'établit à 1 %. Pour faire simple, les améliorations de la productivité sont perceptibles à plusieurs niveaux de l'activité économique. Si cette amélioration de productivité se situe au niveau des personnes elle peut se refléter dans les taux d'emploi, les taux de salaire, la stabilité de l'emploi, la satisfaction au travail ou l'aptitude à l'emploi dans les divers métiers ou les diverses industries. Si cette amélioration est mesurée au niveau d'une entreprise, elle se traduira en parts de marché et résultats à l'exportation. Dans un plan plus global, et avec une perception macroéconomique, la productivité est considérée comme un maillon important de la chaîne de croissance. Son impact est important et s'intègre dans un cercle vertueux. En effet, la croissance de la productivité peut accroître les revenus et réduire la pauvreté. « La croissance de la productivité réduit les coûts de production et accroît les rendements des investissements qui se transforment pour partie en bénéfices pour les entrepreneurs et les investisseurs, et pour partie en augmentation des salaires. Les prix peuvent baisser, la consommation et l'emploi augmenter, d'où un recul de la pauvreté ». Le cercle vertueux s'alimente aussi de l'investissement, lorsque certains gains de productivité sont réinvestis par l'entreprise dans l'innovation – des produits et des procédés, dans l'amélioration des installations et des équipements et la conquête de nouveaux marchés, ce qui favorise d'autant la croissance de la production et la productivité. C'est dans ce cadre d'harmonie totale que les entreprises comme les travailleurs puissent tirer profit d'une meilleure productivité.
Croissance de la productivité : notion multidimensionnelle: Plusieurs facteurs interviennent dans le processus d'amélioration de la productivité et qui sont de différents types, exogènes et endogènes. Une croissance de la productivité dans une entreprise ou une économie est attribuée à des changements dans l'organisation interne du processus de production, à de nouvelles compétences acquises en cours d'emploi ou à l'extérieur, ou à de nouveaux investissements matériels. Malgré, le développement technologique et des machines, le travailleur reste un élément central dans l'amélioration de toute productivité. C'est pour cette raison que toute amélioration doit certainement transiter par lui. Il s'agit à ce niveau de facteurs relatifs à la santé, l'éducation et la formation, les connaissances de base et l'expérience. L'entreprise en tant qu'entité économique est située dans un environnement national. Plus cet environnement est encourageant et propice, plus il y a des chances d'amélioration de sa productivité ou la réussite de ses plans d'amélioration. Ce sont des facteurs relatifs au pays dans lequel est implantée l'entreprise, par exemple des politiques nationales favorables en matière de macroéconomie et de concurrence, des stratégies de croissance économique, des politiques de maintien d'un environnement professionnel durable et des investissements publics dans les infrastructures, l'éducation et la formation professionnelle. La précision donnée dans le paragraphe précédent démontre le caractère multidimensionnel de la productivité. En effet, certains analystes ou experts résument l'amélioration de la productivité dans l'amélioration des compétences des travailleurs, ou leur niveau d'éducation et de perfectionnement. Or selon le Bureau International du Travail « le perfectionnement des compétences et autres investissements en capital humain ne sont qu'un ensemble de facteurs nécessaires à l'accroissement de la productivité ». Le développement des compétences ne saurait, à lui seul, accroître la productivité de l'entreprise et de la nation. De même, les autres facteurs et les autres politiques n'y suffiront pas s'ils sont mis en oeuvre indépendamment. Certains gains de productivité ne sont pas attribués seulement à une amélioration des compétences ou à un rendement plus efficace des travailleurs, comme déjà montré, mais peut être aussi attribués à de nouvelles techniques qui permettent d'économiser de la main-d'œuvre, et par conséquent, l'amélioration de la productivité se fait au détriment de l'emploi. D'autres entrepreneurs, trouvent dans le licenciement un moyen nécessaire pour réduire le coût des facteurs (travailleurs), et par conséquent produire la même quantité, voire plus, avec le même nombre de personnels. Ces pratiques sont courantes et ne permettent pas de créer de l'emploi. Mais il est important de signaler que la productivité stimule globalement la croissance économique et l'emploi, à travers les réinvestissements des profits, et la promotion de la recherche et développement.
Dans de nombreux pays, le problème n'est pas que le travail manque mais qu'il n'est pas assez productif dans la plupart des cas pour offrir un revenu décent; il est donc impératif que la croissance de l'emploi aille de pair avec celle de la productivité. L'emploi qui reste toujours le premier défi de ce siècle surtout après la vague de licenciements qui s'est déclenchée avec la crise économique mondiale. T.Ben Jazia