La rencontre entre l'industrie des services et les technologies d'information et de communication s'est nouée autour de l'évolution des formes de la relation commerciale, et plus particulièrement de la possibilité pour les organisations de gérer celle-ci en partie à distance, par téléphone ou par courrier électronique. Ceci a conduit dans les vingt dernières années à l'éclosion des centres d'appels, et à faire de ceux-ci un enjeu récurrent du débat public sur la politique industrielle. Les centres d'appels constituent des lieux de travail où se déploie une activité tendue entre routine et développement. D'un côté des efforts pour formater et cadencer les échanges. C'est pour cette raison que le travail aux centres d'appels a pu être décrit comme l'équivalent, pour la société de services, du travail à la chaîne pour la société industrielle. De l'autre côté la complexité des services proposés et des outils logiciels (mais aussi papier) sur lesquels s'appuie l'activité rendent possible l'attribution de compétences spécifiques, dont la reconnaissance fait aujourd'hui défaut. Cette tension ne joue pas seulement au niveau des formes de prescription et d'évaluation qui encadrent globalement le travail ou l'activité. Elle irrigue également les manières de conduire l'interaction, jusque dans ses détails les plus fins. Jusqu'où peut-on prescrire le déroulement d'une séquence interactionnelle, dans la mesure où la conversation donne par exemple constamment prise à l'improvisation, du fait du caractère local des procédures qui gouvernent l'allocation séquentielle des tours de parole ? L'activité des téléopérateurs n'est d'autre part pas seulement conversationnelle, puisqu'ils doivent gérer et renseigner des applications informatiques, de sorte que l'arrivée des écrans pertinents soit finement ajustée au déroulement de l'interaction.
Les centres d'appel: plusieurs aspects à revoir
L'activité des centres d'appels bat son plein… Aujourd'hui, on dénombre 230 centres de contacts. C'est par ailleurs un formidable réservoir d'emploi offrant 20.000 postes. Au fil des cinq dernières années, le secteur des centres d'appels, machine bien huilée, a réalisé un bond significatif comme le confirme M. Samir Sidhom, ingénieur en chef en Télécommunications auprès du Ministère des Technologies de la Communication. Selon lui, malgré le fléchissement (entre 5 et 10%) qu'a connu l'activité des centres d'appels en Tunisie en 2009 sur fond de crise financière internationale, le secteur fait preuve d'une santé flamboyante. «Depuis 2002 jusqu'à nos jours, la valeur de l'investissement dans cette branche est de l'ordre de 50 MD», souligne M. Sidhom.
Les yeux braqués sur l'intérieur… Après l'inauguration des deux centres de contacts implantés à Gafsa, précisément dans les régions de Redeyef et de Metlaoui, les yeux d'Optimum Group (Groupe financier privé tunisien d'envergure internationale qui exerce ses activités dans les secteurs de l'assurance) sont braqués maintenant sur l'intérieur. Le succès qu'ont connu les deux initiatives, lancées, février dernier, au cœur de la région du sud, a incité Optimum Group, sous la direction du jeune promoteur, M. Mohamed Nidhal Battini, à faire de même, mais cette fois ci dans la région du Nord-Ouest, notamment Béja. Rappelons que les deux projets instaurés à Rdeyef et Metlaoui disposent d'une capacité d'employabilité qui avoisine pratiquement les 150 postes.
Les centres d'appels: l'épine dans le pied… Malgré la haute estime dont jouit ce secteur, il y a toutefois une ombre au tableau. Le domaine connait encore beaucoup de soubresauts. Depuis l'organisation d'un forum traitant de la situation des centres d'appels, le 16 septembre dernier au Technopole El Ghazela, tout le monde spécule sur l'avenir de ce domaine clé en Tunisie. Quelles sont les contraintes qui hypothèquent l'activité du créneau des centres d'appels en Tunisie? Le côté social serait-il le talon d'Achille des investisseurs de ce secteur dans notre pays? Ce sont les deux interrogations posées lors du dernier Forum sur les Centres d'appels.
La guerre des prix bouscule l'ordre du secteur Dans une interview de M. Foued Chraga, Directeur commercial VocalCom Moyen Orient, Nord Afrique, a mis en avant le problème de la guerre des prix ainsi que le manque de coordination entre les centres d'appels. «C'est beau de mettre en avant le mot coordination mais malheureusement ce qui se passe aujourd'hui dans le secteur des centres d'appels ne reflète pas cette réalité-là. Aujourd'hui, on est confronté au problème de la guerre des prix. Autrement dit, la vente des heures diffère d'un centre d'appels à un autre. On enregistre un décalage flagrant entre ceux qui vendent leurs heures à 10 € et les autres qui les vendent à 4 €. Cette situation critique gêne les grandes multinationales qui prennent en considération la charge salariale, les prix, les solutions innovantes qu'elles proposent à leur clientèle. C'est pour cette raison là qu'on ne peut pas parler d'une coordination des efforts».
La qualité des profils en question… Aux yeux de Mme. Yosra Sdiri, chargée des Ressources humaines Laser Contact Tunisie, présent en Tunisie depuis avril 2006, le problème réside dans la qualité des profils: «C'est vrai qu'on a des problèmes de recrutement, de turn-over mais des chantiers sont en cours pour que ces problèmes soient résolus. Actuellement, plusieurs maitrisards suivent des cours de formation avec le BNEC. Pour répondre aux exigences du marché d'emploi, on espère que ces formations apporteront leurs fruits».
La Chambre syndicale: la grande oubliée de la liste Chez M. Haykel Chalbi, jeune promoteur d'Assur Call, opérant dans le domaine de prise de rendez-vous dans la mutuelle santé, les informations sont plus détaillées que de coutume. Lancé avec une enveloppe de 100.000 DT, le projet commence à faire son chemin en Tunisie depuis août 2009. Mais entre les problèmes des Poids Plumes et ceux des Poids lourds, un vrai débat s'instaure. «Je n'ai jamais entendu parler d'une chambre syndicale régissant l'activité des centres d'appels en Tunisie qu'à travers les journalistes». C'est avec ces propos que M. Haykel a évoqué le problème de manque de coordination entre les centres d'appels et la Chambre syndicale régissant l'activité de ce créneau dans notre pays. «Si une personne se présente au nom de cet organisme je serais ravi de collaborer avec elle», confirme-t-il. W.B. Dhiab
Témoignages
Khaoula M. 27 ans, (contactée par téléphone)
De la pure exploitation!
C'est un domaine que je connais bien puisque j'y ai travaillé pour des périodes suffisantes et dans des «boîtes» qui portent de grands noms. Sans citer de nom, je peux affirmer que ce sont des sociétés où le rendement est exigé jusqu'à devenir inhumain. Le gain et le profit constituent leur première priorité. Le salaire conséquent, les primes, la couverture sociale, les congés passent en second rang. On peut même parler de sociétés «bidon» qui n'existent que le temps de ramasser de l'argent et d'arnaquer les employés, notamment la gente féminine. En effet, on procède à la technique suivante: on vous paye le premier mois, on vous pique la moitié du salaire le 2ème mois et puis plus rien… Ni siège, ni matériel, ni panneaux… un étage vide. Adieu salaire, adieu droits, adieu carrière. Je ne vise personne bien sûr. Mais je trouve que c'est malheureusement la vérité en général. S'il y a des boîtes correctes, c'est l'exception.
Kenzi 27 ans, Algérien
Contraignant et pénible
Merci pour le journal «l'Expert» qui prend l'initiative de se préoccuper d'un tel secteur d'activité et des conditions de travail de dizaine de milliers de jeunes, hommes et femmes. Il est vrai que nous sommes nombreux qui considèrent cette activité comme une nécessité temporaire pour pouvoir continuer ses études, ou pour se faire un peu d'argent, ou pour ne pas rester en chômage. Pour la majorité écrasante des filles que je côtoie dans mon travail, il s'agit d'une source de revenu nécessaire à la famille. J'étais venu en Tunisie avec la ferme intention de travailler dans un bureau d'architecture du fait que je suis architecte de formation. Je me trouve dans un centre d'appel. C'est la loi du marché de l'emploi. Me voilà donc dans un secteur contraignant et pénible où l'on passe tout son temps à parler, à persuader, à vendre des produits que nous ne connaissons même pas, parfois. Nos responsables appellent cela «challenge», que nous devons gagner chaque jour. Pour les salaires, on nous promet tout, au début. Salaire, prime, indemnité mais… à condition. Et ces conditions sont tellement nombreuses et irréalisables qu'on ne touche presque rien à la fin. Je trouve que cette activité sur laquelle pèse beaucoup l'intérêt et le profit mérite mieux et peut devenir un véritable métier qui a ses règles administratives, financières et humaines et qui contribue à l'épanouissement de tout un pays.
Imen, 26 ans
Dur… Dur… Ce travail!
J'ai travaillé dans un seul centre d'appel pendant trois ans en temps partiel puis les quelques derniers mois en temps plein. Je faisais les 12 heures pour uniquement 400 dinars! Les superviseurs extrêmement tendus, la responsable des ressources humaines ne prend pas en considération les situations délicates de certains employés (maladie, mort d'un proche). On vous demande d'être toujours en parfaite santé et on n'a pas droit à l'erreur. Pour l'activité en elle-même dès la prise de rendez-vous, il n'y a pas de transparence pas tous les rendez-vous comptabilisés donc on n'est pas sûr d'avoir toute la prime. On se sent surexploité, parfois maltraité, c'est un rythme de vie infernal qui peut mener à beaucoup de nervosité, stress, voir même dépression. Tant que l'on est bien et rentable tout marche, dès que l'on a le moindre problème de santé, on se trouve même pas assuré et voire même viré.