Les révolutions n'ont pas seulement mis au jour la vulnérabilité des dirigeants arabes, elles ont également permis d'arracher des concessions, simplement inimaginables quelques mois auparavant. Quant aux anciennes méthodes pour faire taire l'opposition et les critiques, elles semblent obsolètes.
Le système, dans son ensemble, est en train de changer, les dirigeants arabes doivent changer. Ils ne peuvent plus utiliser les mêmes techniques qu'ils utilisaient par le passé (selon des médias). Chaque pays sans exception doit faire des changements…. . Nous avons atteint un point de non-retour. C'est un nouvel ordre qui se met en place. C'est une révolution qui est en train de se réaliser… .
Souvent très jeunes, les manifestants font montre de courage et de détermination et ne sont guère plus intimidés par l'arsenal de répression, déployé par leurs dirigeants. Pour les pays arabes, ils n'ont pas seulement en commun des situations économiques et sociales. Ils partagent une langue et une culture qui leur a donné envie de reproduire les révolutions tunisienne et égyptienne. Il ne s'agit pas seulement de pain, de beurre ou d'emplois. C'est plus que ça. Il s'agit de liberté dans la société, il s'agit d'avoir un gouvernement représentatif.
L'opinion publique: un nouvel enjeu en Tunisie
Les gens veulent avoir leur mot à dire sur la manière dont les pays sont dirigés et comment leur société est gérée. L'enjeu majeur auquel devra faire face ce troisième gouvernement de transition, comme tous les autres gouvernements qui lui succèderont en Tunisie, est celui de l'opinion.
Tandis que sous Bourguiba, l'opinion publique était, avec les mentalités, l'un des principaux axes de l'action gouvernementale, avec l'arrivée de Ben Ali, l'opinion est devenue une question négligeable. Bourguiba et ses ministres savaient agir sur l'opinion et la prendre en compte dans leurs décisions, le modèle dans lequel ils se plaçaient étant celui d'un Etat-instituteur.
Avec Ben Ali, cette logique a disparu, l'Etat étant devenu un appareil au service des intérêts de ses chefs. Lorsqu'il prenait des mesures favorables au sort de la population, le gouvernement ne faisait que se prémunir contre un mécontentement excessif. La propagande ne servait pas à modeler l'opinion, mais à indiquer au Tunisien les limites de ce qu'il est permis de dire, le mètre-étalon de l'expression politique, le discours officiel en dehors duquel les sanctions devraient s'abattre, les frontières de la subversion. Le régime de Ben Ali, reposant sur la peur et non sur le consensus et l'adhésion de la population à un projet de société, n'a jamais eu besoin de jauger l'opinion et de la prendre en compte dans son action et dans sa communication.
A quoi bon tenir compte de l'opinion du citoyen lorsque celui-ci est terrorisé à tel point qu'il est possible de lui imposer les mesures les plus injustes et les politiques les plus ignobles, le tout enveloppé dans une langue de bois perpétuelle.
C'est bien l'opinion, ce facteur inconnu, qui a causé la chute des deux premiers gouvernements postrévolutionnaires menés par Mohamed Ghannouchi.
La raison de cet échec face à l'opinion est que tant les ministres issus du Rassemblement constitutionnel démocratique, que les membres du gouvernement provenant de l'opposition n'ont jamais appris à évaluer l'impact de leur communication et de leurs décisions sur l'opinion publique.
Pour ce qui est des opposants, ils ne se sont jamais adressés à la population tunisienne dans le cadre de leur lutte contre Ben Ali, mais plutôt aux instances internationales. Le paradigme dans lequel ils se plaçaient les empêchait de dialoguer avec la population, soit donc avec l'opinion.
Cette incompétence absolue du personnel politique présent dans les deux premiers gouvernements de transition, en matière de communication et de gestion de l'opinion, s'illustre par des erreurs monumentales qui, accumulées, ont fini par les mener à leur chute. De même, si l'opinion publique réclamant la dissolution du RCD, (et autres réclamations) avait été écoutée plus tôt, les graves troubles que nous avons connus n'auraient pas eu lieu.
La peur du citoyen ayant disparu, l'expression ayant été libérée, les Tunisiens, forts d'un sentiment de puissance et de souveraineté né de leur victoire face à «l'indéboulonnable» dictateur, sont aujourd'hui capables d'agir et d'exercer