Doté d'un accent qui respire la gouaille mais sans tomber dans l'amertume (ce qui est assez surprenant pour un homme de son âge), sachant manier l'humour qu'il sait adapter aux exigences de la situation (tantôt féroce, tantôt bonasse, souvent mordant), M. Béji Caïd-Essebsi a, de toute évidence, le sens de la communication qui instille chez le spectateur un vrai plaisir esthétique. Il y a chez lui, sans conteste, une capacité de séduction qui prédispose l'interlocuteur à épouser ses thèses ou, à tout le moins, à les recevoir avec compréhension. En même temps, il s'arrange pour illustrer son discours par des références bien choisies. On perçoit en lui une facette pétrie de culture aussi bien arabe qu'occidentale. Les trésors de la littérature arabe (qu'elle soit savante ou populaire) n'ont pas de secret pour lui. Il en est de même pour les joyaux des lettres occidentales. On le sent intellectuel mais intellectuel proche du vécu quotidien du citoyen. Mieux, il sait saupoudrer ses réponses de versets coraniques. Bref, M. Caïd-Essebsi nous réconcilie avec l'art du discours, cet art que le président déchu avait enterré sous une langue de bois, d'une lourdeur sans pareille. Que n'a-t-on, abondamment, dormi à l'écoute de la parole de Ben Ali que les médias officiels rendaient encore plus soporifique par des commentaires indigestes. Des plages de prose dont on sentait qu'elles ont valu à leur auteur une infinie pénibilité, une infinie souffrance! Je ne sais pas si M. Béji Caïd-Essebsi a l'intention de prolonger ce retour fulgurant dans l'arène politique ou s'il compte, comme il le dit, couper court le 24 juillet prochain. Mais il aura quand même réussi à nous faire goûter un véritable bonheur oratoire dont on a perdu la trace avec la mise à l'écart d'un certain Bourguiba. On nage dans l'optimisme en écoutant le Premier ministre, et l'on imagine le tabac que doivent faire ses apparitions sur le petit écran auprès du citoyen lambda. Et pourtant, il y a un hic: on ne peut s'empêcher de ressentir, à l'issue de ses apparitions, un certain goût d'inachevé, bien que, jusqu'à maintenant et sur un plan institutionnel, il ait, aidé en cela par le bon travail mené par la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, donné pleine satisfaction. Alors, d'où vient alors ce goût d'inachevé? Peut-être du fait que, au sortir du débat télévisé, on se heurte à l'intolérable confusion qui règne dans le pays! M. Béji Caïd-Essebsi en est fort conscient. Quand on bâtit sur une terre rendue stérile par une affreuse et longue dictature, l'on ne doit pas être surpris par de telles difficultés. Il n'en reste pas moins que le Premier ministre sait communiquer l'espoir. Même contre vents et marées. Sa double et longue expérience à la tête des ministères de l'Intérieur et des Affaires étrangères, au temps de Bourguiba, l'a certainement, aguerri sur ce chapitre, tant la gestion de ces deux départements requiert une vision à la fois froide et souriante de la réalité politique et diplomatique du monde. Et la démocratie est avant tout parole, parole libre à l'écoute de la conscience de l'Autre. Et donc, avant tout, un art de la communication. Les démocraties grecque et romaine sont redevables à l'art de la parole d'un Démosthène ou d'un Cicéron.