Habib Bourguiba, leader, combattant suprême, premier président de la Tunisie indépendante. Béji Caïd Essebsi, plusieurs fois ministre sous le régime de Bourguiba, actuellement chef du gouvernement après la Révolution, a connu sous Ben Ali, un long désert politique au cours duquel il a eu le loisir de rédiger un livre de 500 pages sur ce compagnon de route pas ordinaire. Dans cette biographie exemplaire, l'auteur révèle des aspects peu connus de la personnalité de Bourguiba en prenant le recul nécessaire pour brosser au plus près, le portrait de l'homme, du leader et du président et lever le voile sur certaines parts d'ombre de sa vie politique et privée. Le livre est truffé de témoignages et d'anecdotes depuis les années de braise jusqu'aux funérailles en passant par la dissidence de Ben Youssef, l'accord mort- né d'union tuniso-libyenne, la relation de Bourguiba avec l'islam ainsi que d'autres moments importants de son règne dont Béji Caïd Essebsi était le témoin privilégié. Peu complaisant, tantôt admiratif et tantôt sévère, l'écrivain trace le destin de l'auteur du Code du Statut Personnel, son audace et la célérité avec laquelle il a entrepris cette réforme : « Si cette réforme n'est pas réalisée maintenant, elle ne pourra peut-être plus jamais être réalisée et je ne suis pas sûr de pouvoir moi-même la réaliser encore dans six-mois » (dixit Bourguiba p. 60). « C'est une leçon de méthode », explique Caïd Essebsi, mieux une « praxis politique ». Le CSP restera dans l'histoire de la Tunisie et du monde arabe comme une première sans précédent devenu un acquis irréversible, tout comme la généralisation de l'enseignement qui a permis aux Tunisiens sans distinction d'aucune sorte de s'instruire. Sur le plan privé, le Combattant Suprême était entouré de deux femmes influentes : Wassila Ben Ammar et Saïda Sassi. La première, Wassila Ben Ammar, qu'il a épousée en secondes noces et avec laquelle il n'a pas eu d'enfant, il en était amoureux. L'auteur du livre la décrit comme une femme « attirée par le pouvoir qui [tenait] à être informée de tout avant tout le monde. Omniprésente dans le Palais, elle a régné pendant presque trente ans … Il est vrai qu'elle avait tendance à intervenir en tout, même si on exagère souvent son rôle dans telle ou telle décision prise par son mari. » (p. 385) La deuxième, Saïda Sassi, sa nièce, qui a occupé sa vie après son divorce avec Wassila, elle apparaît dans l'ouvrage comme « une femme inculte et rustre, que l'on surprenait parfois traversant les salons du Palais de Carthage nus pieds, ses chaussures à la main, ce que Wassila ne ratait aucune occasion de lui rappeler » (p. 276-277). Elle régnera sur le Palais de Carthage et pèsera de tout son poids sur les décisions du pays et la nomination des ministres. Béji Caid Essebsi ne cache pas sa haine pour cette femme car il a été victime de l'une de ses conspirations. Caïd Essebsi montre ce qu'est le bourguisme qui se fonde selon lui sur des « valeurs de liberté, de dignité et de responsabilité... » (p. 398). Cette école politique baptisée bourguisme, se fonde selon l'auteur du livre sur cinq facteurs : « Le premier : la tunisianité, l'attachement à la personnalité tunisienne dans ses spécificités... Le deuxième : la vertu médiane, rejet de l'extrémisme politique, idéologique et religieux... Le troisième : la progression par étapes, dans la lutte pour l'indépendance, l'édification de l'Etat moderne et la réforme de la société... Le quatrième : l'attachement à la légalité internationale et le cinquième : une somme de vertus et de règles de bon sens (faire prévaloir la raison sur la passion, faire prévaloir l'essentiel sur l'important, la persévérance dans l'effort ; la patience et le long souffle, le rapport du progrès à la science et à la technologie, clés de l'essor du monde occidental et enfin, la valeur du travail et de l'effort ; la devise du Parti est un appel à élever le travail au rang d'une valeur ». (p. 404-405) « Habib Bourguiba : le bon grain de l'ivraie » est un livre de référence bien documenté qui fournit des témoignages francs sur les années Bourguiba et met en lumière les lignes de force de sa politique. Les illustrations en noir et blanc et les annexes sont d'une grande richesse et apportent un éclairage supplémentaire sur ce grand chef d'Etat. Un livre pour la mémoire écrit dans un style aéré et agréable à destination de tous les publics. Inès Ben Youssef ___________ «Habib Bourguiba : le bon grain de l'ivraie» De Béji Caïd Essebsi Sud éditions Tunis