Un an après la Révolution du 14 janvier, la Journée internationale de la femme célébrée ce jeudi 8 mars 2012 ouvre pour la femme tunisienne une période d'instabilité et un avenir pour le moins incertain. Présentes aux premières loges lors de la Révolution qui a chassé le président Ben Ali, les femmes tunisiennes dont le statut avant-gardiste a toujours été considéré comme un cas à part au Maghreb, dans les pays arabes et de par le monde, s'inquiètent de certains changements intervenus dans le pays. Jamais dans l'histoire de son émancipation acquise parfois après d'âpres batailles, la femme tunisienne ne s'est sentie aussi acculée et aussi menacée. Une réputation de pionnière Devançant parfois les femmes en Europe notamment en France, les Tunisiennes ont précédé les Françaises de 5 ans en matière de droit à l'avortement soit en 1973, acquis après l'adoption en 1959 du Code du statut personnel (CSP) qui a institué le principe de l'égalité de l'homme et de la femme du point de vue de la citoyenneté, interdit la polygamie et la répudiation et autorisé le divorce. Le CSP pose le principe du consentement mutuel des époux comme règle de validité du mariage, institue un âge minimum obligatoire, instaure une procédure judiciaire du divorce et autorise la femme à le demander, lui attribue un droit de tutelle sur ses enfants mineurs au décès du père, lui permet de contribuer aux charges familiales, abolit la polygamie... La femme peut alors travailler, ouvrir un compte bancaire, gérer son capital et créer une entreprise sans l'autorisation d'un parent ou d'un époux. Elle a également acquis le droit de demander le divorce. La femme tunisienne a toujours été une pionnière en matière de statut social et d'égalité des droits avec l'homme. Outre ces acquis, la femme tunisienne a obtenu dans la nouvelle loi électorale en 2011, l'adoption d'un article proclamant la parité dans les listes électorales entre hommes et femmes. Ministre, avocate, intellectuelle, enseignante, chef d'entreprise, officier de l'armée, de police, de douane, pilote de ligne, cinéaste, sportive de haut niveau, aucun domaine ou activité socioéconomique n'échappe à la femme tunisienne qui a prouvé ses capacités à exceller aux côtés de l'homme. La nouvelle donne Mais après la victoire du parti du Mouvement Ennahdha aux élections de la Constituante, des personnalités au sein de ce parti politique d'obédience islamiste, ont dévoilé leurs intentions de remettre en cause certains acquis comme le droit à l'avortement, l'égalité avec l'homme, l'interdiction de la polygamie… Cette victoire a donné aussi lieu à une éclosion sans précédent de certains mouvements confessionnels qui sont montés en puissance, gagnant en influence dans le pays et remettant au goût du jour certaines pratiques traditionnelles ou étrangères aux habitudes du pays telles que le port du Niqab, le mariage traditionnel (Orfi) ou l'excision. La Défense s'organise Face à cette nouvelle donne, les femmes se sont senties contraintes dès le début de se mobiliser pour réaffirmer leur attachement à leurs acquis et ont organisé, à ce propos, plusieurs manifestations à Tunis et dans d'autres villes du pays. Cette mobilisation et le tollé provoqué au sein de l'opinion publique nationale connue pour son esprit d'ouverture et de tolérance ainsi que son aptitude à s'ouvrir sur les autres civilisations du monde, ont poussé les partisans de cette ligne dure, prônant le retour aux valeurs traditionnelles, à tempérer leurs ardeurs. En effet, cette crainte des femmes de voir brutalement régresser voire supprimer leurs droits durement acquis, est partagée par la majorité des Tunisiens qui l'ont exprimé dans un baromètre sur la situation actuelle dans le pays. Ce sondage a eu lieu au mois de février 2012, et a été réalisé par la Société tunisienne MDWEB spécialisée dans les études en ligne. En effet les résultats font apparaître que : 80% des Tunisiens interrogés affirment que le statut de la femme tunisienne doit être protégé et 61% estiment que le port du niqab pose problème dans la société tunisienne. Equilibre entre modernité et respect des traditions Les Tunisiens sont attachés à leur culture qui en fait une société modérée, tolérante et ouverte sur l'extérieur tout en conservant sa personnalité et son identité à travers la préservation de son patrimoine culturel et de son histoire. Bien que les partisans du retour aux pratiques traditionnelles aient commencé à mettre un bémol à leurs visées en les mettant en sourdine, les femmes tunisiennes n'ont pas baissé la garde et restent mobilisées jusqu'à ce que leurs droits soient pris en compte dans la nouvelle constitution en gestation. Aujourd'hui la beauté du geste de Khaoula Rchidi, une étudiante à l'Institut de Presse et des Sciences de l'Information (IPSI) qui a affronté mercredi 7 mars 2012, le salafiste sur le toit des bâtiments de la faculté de la Manouba pour l'empêcher de retirer le drapeau national et de hisser le fanion de sa confession, est si noble qu'il en a fait une héroïne à la veille de cette journée symbolique de la femme. Mais au-delà de ce symbole, il s'agit d'un message adressé à tous ceux qui doutent encore aussi bien de la volonté de la femme tunisienne que de ses capacités à affronter tous les défis actuels et à venir. Dans ce geste héroïque, se mêle le courage, la ténacité et l'amour de la patrie qui sont autant de qualités que possède la femme tunisienne.Désormais il faut plus que jamais compter avec la femme tunisienne en la considérant comme un véritable partenaire, au même niveau que l'homme. Celle-ci doit plus que jamais être considérée comme un acteur économique et social à part entière, ayant les mêmes droits et les mêmes devoirs que l'homme, particulièrement dans cette période de reconstruction du pays.