Dialogue National, Course à la primature : le Front du Salut a-t-il bien négocié ?! Le Dialogue National s'apparente beaucoup plus au serpent de mer qu'à l'âne de service, comme résumé par l'hilarant lapsus d'un membre du Quartet. En effet, tout le monde en parle mais personne n'en sait rien. Toute la Tunisie est suspendue à la course à la primature, première étape de la non moins fumeuse feuille de route, sans que les parties prenantes consentent à dégager un compromis sur le nom du prochain Chef du Gouvernement. Ce qui est une insulte au peuple tunisien. Ce n'est plus un processus de négociation mais une véritable guerre de tranchées. Comble du paradoxe : Tout le monde demande, en qualité de prochain Chef de Gouvernement, une personnalité neutre, compétente et indépendante, mais chacun ne lésine sur aucune manœuvre, mêmes les coups les plus tordus, pour imposer son poulain. A cet effet, les mentors rivalisent de langues de bois, de piques verbales et de coups bas. On aurait dit qu'on ne cherche pas un Chef de Gouvernement autonome et consensuel mais un solide allié à la primature. Rached Ghannouchi n'a pas fait mystère à ce sujet en déclarant « on quitte le gouvernement et pas le pouvoir« . Et c'est là où se situe le clou de tout le blocage. Le Front du Salut aurait du en saisir le sens et la finalité pour opposer une toute autre manière d'engager et de gérer le bras de fer, s'agissant d'épreuve de force et non de crêpages de chignon. Lors de ce Dialogue National, le Front du Salut, autrement dit l'opposition, a montré toutes ses limites en matière de négociations et de manœuvres, en offrant, sans s'en rendre compte, de l'eau aux moulins nahdhaouis. Les frasques d'Ahmed Nejib Chebbi n'ont fait que précipiter une position de négociation fragilisée et manifestement vouée à l'échec. La négociation est un art, un rapport de force, à chacun son style, et non une vue de l'esprit pour apprentis stratèges. Noyer le poisson est un exercice d'habileté et de tactique que le mouvement Ennahdha semble mieux maitriser. On ne négocie pas avec un adversaire campant farouchement sur son seul et unique choix en multipliant les propositions, discréditant l'un après l'autre les candidatures soumises successivement. Il est tout à fait dans l'ordre naturel des choses que l'adversaire devienne féroce, acquière un ascendant psychologique, se focalise plus que jamais sur sa position initiale et joue la montre et la pression pour faire basculer le processus à son profit. Bien que le Dialogue National soit suspendu, faute de consensus, le Front du Salut n'en continue pas moins de se tirer la même balle dans le pied. Alors que la Troïka n'a pas lâché son candidat, le Front du Salut sacrifie les siens, l'un après l'autre, pour en proposer d'autres noms. Quiconque dirait que le sempiternel et multiple casting opéré par le Front du Salut est à son honneur et témoigne de son sens de la flexibilité et de son souci de débloquer. Mais cet esprit de souplesse ne serait valable que face à un vis-à-vis capable de consentir des concessions et non face à un adversaire bouché à l'émeri et droit dans ses bottes. Le Front du Salut a mal négocié car il s'est trompé de démarche et d'objectif. Pour lui, l'ultime visée a consisté à déloger coûte que coûte, vaille que vaille, la Troïka du pouvoir. Son souci premier n'est pas de débloquer la situation et de régler la crise, mais de chasser un adversaire. Dans le cadre des négociations sur le prochain Chef du Gouvernement, le Front du Salut n'a pas parlé d'une seule voix comme son nom (Front) suggère, mais a opéré par ordre dispersé. La volte-face d'Ahmed Nejib Chebbi, soutenant le candidat de la Troïka, au mépris de la position de son propre camp, à savoir le Front du Salut, et sans consulter sa base, a montré la désunion de l'opposition, son incapacité à se mobiliser derrière un projet ou un nom et son manque d'homogénéité et de clairvoyance. En résumé, la course à la primature à mis à nu au moins trois aspects : D'abord, l'intérêt national est relégué au rang de slogan de campagne ou de faire-valoir. Ensuite, la Troïka s'est donnée à tous les artifices et les subterfuges pour rester au pouvoir, quitte à tout bloquer, même les voies respiratoires du pays. L'opposition, déchirée par la course au leadership et par la guerre des egos, inapte forcément à développer une vision stratégique commune, a montré toute l'étendue de son incapacité à agir en bloc et à négocier en force, obnubilée uniquement par une seule idée, à savoir, chasser la Troïka du pouvoir. Le premier trinque, le deuxième truque et le troisième traque. Une révolution en toc, un idéal en troc, un peuple sans froc . Malheureuse Tunisie, trahie par son élite.