Elle était bien belle. Belle et courtisée de tous. A cinquante piges passées, elle en jetait, encore et encore, du charme. Elle a su garder en elle cette fraicheur d'une jeunesse nonchalante, rêveuse, au bord de la plus belle des mers. Elle avait, certes, fait son petit bout d'histoire, plein d'histoires, pas toujours très drôles et parfois, même, assez lugubres. Elle avait, certes, été en ménage avec des hommes qui ont fait d'elle ce qu'elle était. Elle avait, aussi, des enfants qui auront, apparemment, grandi sans qu'elle ne s'en aperçoive. Il faut dire qu'elle en avait des bouches, des bouches à nourrir, et qui plus est, des bouches insolentes, parfois par trop bavardes, et aussi, fréquentation (et chaines satellitaires) oblige, ingrates voire révoltées. Elle aura connu, comme tout le monde, les déboires des années maigres. Elle aura subi, comme tout le monde, la crise, la mondialisation, la dénaturalisation, les mutations... Elle n'en resta pas moins belle, attirante, courtisée, et même convoitée. Il faut dire que rares étaient celles qui étaient comme elle, aussi attirantes, aussi élégantes, aussi accueillantes, dans les bras des quelles il faisait bon vivre. Elle en vint à être courtisée par les grands, comme par les moins grands, et même par, certains nouveaux riches, qui se prenaient pour des grands. Finalement, sa beauté, sa joie de vivre, son hospitalité lui auront causé sa perte, puisqu'un jour « on » lui jeta un sort ! Probablement une sombre méchante sorcière vivant dans le royaume d'au-delà des océans, qui s'est évertuée à lui jouer de vilains tours, aidée en cela par des apprentis sorciers venant de l'ancien monde. Et c'est ainsi, que la belle se retrouva plongée dans un sommeil maladif, entourée par ses enfants qui n'y comprenant rien se mirent à la mordiller, à la saigner, à l'estropier... voulant à tout prix avoir la nourriture qu'elle s'était toujours fait un point d'honneur de leur fournir gracieusement. Ils ne comprenaient pas, ses enfants ce qui lui, ce qui leur, arrivait. Ils croyaient pourtant bien faire en se laissant aller dans le jeu de ces maudits sorciers. Ils auront tout tenté, ils la voilèrent, ils l'habillèrent même de noir, ils invitèrent tous les marabouts et autres cheikhs à son chevet... Rien n'y faisait. Elle était bel et bien malade, la belle, gravement malade, malade de ses enfants, de leur cupidité, de leur bêtise, de leur ingratitude, beaucoup plus qu'elle ne l'était de la méchanceté des autres. Plus grave encore, elle se compliquait chaque jour un peu plus. Elle était agonisante, au chapitre de la mort, tellement ils l'ont malmenée, tellement ils l'ont pompée, tellement ils ont abusé d'elle sans lui prodiguer le moindre soin. Finalement, ils ont compris, ou entendu parler, du sort qui lui avait été jeté. Et ils se sont mis à regretter les temps passés, la belle époque de la belle, désormais au bois dormant, ou plutôt, dans la jungle dormant. Car c'est bien d'une jungle qu'il s'agit, une jungle avec ses fauves, ses carnassiers, ses charognards, et sa foutue loi du plus fort. Et c'est alors que ses enfants ont compris qu'ils ne pouvaient plus grand-chose à la belle, et qu'il leur fallait, sérieusement, lui chercher un prince charmant. Reste à savoir qui sera le prince charmant, ou même pas trop, qui voudrait d'elle, ou qui pourrait l'aider, dans l'état de délabrement et de souffrance où ils l'ont mise ?