Entre Un sage a asséné « Dieu, préservez-moi de mes amis, de mes ennemis je me charge ! « . Cet adage, pétri de lucidité, résume aujourd'hui le fort ressentiment d'une partie de la base électorale de Nida Tounes, suite à l'annonce de l'équipe gouvernementale (deuxième version) où Ennahdha, dont nombreux parmi les militants et les sympathisants de Nida Tounes, au sein même comme en dehors du parti, ont longtemps décrié et refusé la présence au Gouvernement, est parvenu à arracher quelques portefeuilles, à maintenir quelques noms et à négocier d'autres, nahdhaoui-compatibles. Le parti Ennahdha s'est certes cassé les dents aux élections, mais il tire bien son épingle du jeu et réussit le tour de force d'être à la fois un adversaire et un partenaire. Dans son agenda, être au pouvoir, même avec des strapontins, n'en est pas moins une victoire. En outre, le parti Ennahdha a écrémé d'autres dividendes, non des moindres, qu'au départ l'évolution de la situation a largement compromises: - Il a triomphé de toute velléité d'exclusion, menace longtemps brandi, son pire scénario. - Il s'est démené et parvenu à torpiller toute alliance entre Nida Tounes et le Front Populaire. Ce dernier est tombé dans le piège et lui a offert, consciemment ou inconsciemment, un double cadeau en or presque inespéré. D'une part, avoir un pied au nouveau Gouvernement. Et d'autre part, isoler le Front Populaire. - Reléguant le Front Populaire dans l'opposition, avec une densité parlementaire mince et une marge de manœuvre étriquée, donc dépourvu de toute capacité de nuisance ou d'incidence sur la donne, le parti Ennahdha peut désormais peser de son poids pour se situer au cœur du pouvoir et contracter, en coulisses, tous les arrangements pour obtenir gain de cause sur les dossiers qu'il jugera de haut intérêt pour lui. - Vidant l'opposition et réduisant ainsi sa force, Ennahdha a les coudées franches pour se déployer, au gré de son agenda, sur les deux espaces, au gouvernement comme à l'opposition. Et qui mieux qu'Ennahdha sait s'asseoir entre deux chaises ? - Faire partie au Gouvernement, même avec un seul portefeuille ministériel, permet au parti Ennahdha de disposer d'un cheval de Troie et d'un œil perçant pour tout savoir sur la marche gouvernementale et sur le traitement des dossiers. Et d'aviser en conséquence. Certains pourraient invoquer l'intérêt nationale, l'impératif d'élargir la base d'appui, voire même l'union sacrée autour du nouveau Gouvernement. D'autres pourraient conclure qu'il s'agit d'un moindre mal dès lors que, tout compte fait, le parti Ennahdha ne détient qu'un seul fauteuil ministériel (outre les trois Secrétariat d'Etat). Foutaise ! Pure démagogie ! Tout est dans la symbolique. Quand le paradoxe est élevé au titre de tactique, quand l'acte ne joint pas la parole, quand l'engagement politique est ravalé au rang de piètre slogan de campagne, alors là rien ne tient la route et les électeurs de Nida Tounes ont le droit de protester et de crier leurs ressentiments. En effet, des voix s'élèvent, effarouchées, scandalisées, insurgées. Les électeurs en question s'en sentent, à juste titre, trahis par ceux-là même qu'ils ont bataillé rudement pour les élire et leur offrir le pouvoir. En retour, rien que des engagements bafoués, rien que des sentiments diffus d'extorsion, de vol et de racket. Convaincus que le vote utile est le seul moyen de chasser Ennahdha du pouvoir, eu égard à son échec au Gouvernement, à sa compromission avec la mouvance terroriste et à l'incompétence de ses ministres, bon nombre de tunisien ont vite décidé de voter Nida Tounes aux législatives comme aux présidentielles. Ils ont grossi, presque par instinct de survie, les rangs de ceux, combien légion, résolument décidés d'évincer, bien et vite, le courant représentant l'islamisme politique par la peau des fesses. Il n'y a pas mieux que les urnes pour envoyer cette formation dans l'opposition. Il n'en est rien. Le parti élu a joué le contre-pied, préférant ramer à contre-courant. Ils étaient d'autant plus campés à leur position d'exclure Ennahdha que les pontes de Nida Tounes, BCE en premier, en ont fait leur unique leitmotiv et leur principal mot d'ordre. Persuadés d'avoir vu juste, ils ont même contribué activement, sur le terrain, dans la campagne électorale, et trouvé le mot juste et fort pour parvenir à faire adhérer nombreux parmi leur entourage, dont certaines têtes dures, à l'idée de voter utile. Ils ont milité non par conviction dans le programme de Nida Tounes, presque personne n'en a examiné le contenu, mais uniquement pour dégager Ennahdha. Ils ont jugé que l'intérêt national coïncide avec l'exclusion, par le scrutin, du parti Ennahdha et que Nida Tounes représente l'alternative de choix. Pratiquement la seule alternative pour sauver la Tunisie. Aujourd'hui, ils sont à la renverse ! Sur un autre plan, BCE n'a-t-il pas martelé, à longueur de journée, que le parti Nida Tounes est crée pour équilibrer le paysage politique et barrer la route à toute idée d'hégémonie. La bipolarisation ne peut en aucun cas être uniquement électorale, elle aurait être installée à l'ARP, entre la majorité et l'opposition. Ce mariage contre nature ne finirait-il pas par accoucher de petits monstres, enfants incestueux de la voie libérale et de la complicité politique?! Dans la configuration actuelle, la dualité majorité/opposition n'a aucun sens et l'équilibre n'est qu'un écran de fumée sinon une simple vue de l'esprit. Il n'y aura que le règne tyrannique de la majorité désormais écrasante. Et qui plus est tout dans la légalité et dans le plein respect de la Constitution. Inutile de rappeler que les électeurs ont mandaté Nida Tounes pour gouverner et non pour brader leurs voix dans de louches enchères politiques et non pour sacrifier leur choix sur l'autel de la magouille. Croyant sauver le Gouvernement, Nida Tounes, du moins son bloc favorable, n'a fait que sauver Ennahdha, croyant nourrir le consensus, il ne fera qu'emprunter le chemin de l'implosion. Le retour de manivelle n'est pas seulement à craindre mais aussi et surtout à tenir en ligne de compte. Les signes avant-coureurs sont déjà là eu égard au vif mouvement de protestation des militants et des sympathisants. La descente aux enfers ne fait que commencer. Aujourd'hui, après le retournement de veste, la volte-face, voire la trahison, sur quelle fond de crédibilité Nida Tounes envisage-t-il de gouverner ? Avec quelle mobilisation populaire ? Quel en sera son avenir ? Ses leaders ont-ils tiré les bons enseignements de l'expérience douloureuse des partis Takatol et CPR, deuxième et troisième forces politiques après les élections du 23 Octobre 2011, qui ont implosé, suite à un vote sanction, pour s'être alliés avec Ennahdha. Comme la mante religieuse, Ennahdha dévore ses soupirants, la lune de miel n'est que ponctuelle, le temps d'un baiser de la mort dès la première étreinte. Ralliés à Ennanhdha, Takatol et CPR ont été phagocytés, éclatés comme une baudruche, avant de finir cadavres comestibles. A trop rater le pâturage et fui leurs troupeaux, les deux tigres en puissance ont été transformés en brebis galeuses. Dans la foulée, Nida Tounes serait-il lui aussi un tigre en carton, proie offerte aux faucons d'Ennahdha ?! Attendons voir ! Un autre et dernier point : Derrière l'alliance Nida Tounes /Ennahdha ne se faufilent-ils pas les risques de dictature parlementaire ? En fait, l'ARP ne serait-il pas en otage, devant le fait accompli, majorité requise oblige, juste une caisse de résonnance de ce que le duo a déjà négocié et convenu, en aparté, de façon bilatérale. Le scénario n'est pas à exclure. Le cas échéant, l'ARP n'en serait qu'à la fois l'antichambre et la vitrine de ce paradoxal et non moins détonnant tandem. Pour en finir comme déjà commencé avec un autre sage, qui a répliqué, plein d'a propos, » la victoire a beaucoup d'amis et l'échec est orphelin« .