Passés les premiers instants de surprise de la décision du chef du gouvernement Youssef Chahed de démettre le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Chedly Ayari de ses fonctions, les ripostes ont commencé à se faire sentir. A trois jours de l'examen par l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) de la question du limogeage du gouverneur de la banque centrale, Chadly Ayari, et de la confirmation de Maroune Abassi, l'affaire n'en finit pas de faire couler l'encre et d'alimenter les débats. Affaire de trafic de devises Dernier soubresaut traduisant les répliques à cette décision, la découverte durant le week-end d'un vaste trafic de devises et de blanchiment d'argent dans lequel ont été arrêtés deux cadres de la banque, tandis que des soupçons pèsent sur le gouverneur pour être impliqué dans ces malversations. Lors d'une audition, récemment par l'ARP, Chadly Ayari s'était plaint de la forte demande sur les devises, affirmant que la banque ne possédait pas de planche pour imprimer des billets de dollars. Il a exhorté les autorités à trouver de nouvelles ressources de rentrées de devises, sinon la situation allait empirer davantage. On rappelle que les réserves en devises de la banque n'assuraient, ces derniers jours, les importations que pour 84 jours, une situation qui ne s'est jamais produite en 30 ans, selon des analystes économiques. Le limogeage de Chadly Ayari intervient après deux faits majeurs aux termes desquels l'image de la Tunisie a été fortement écornée en moins de deux mois. Une série d'échecs retentissants Après le classement par l'Union européenne de la Tunisie sur la liste noire des pays paradis fiscaux, de laquelle elle a été retirée, pour figurer dans la zone de risque, c'est-à-dire sur la liste grise, voilà que le nom de la Tunisie est de nouveau black listée comme étant un pays susceptible d'être fortement exposé au blanchiment des capitaux et au financement du terrorisme. Une goutte qui a fait débordé le vase bien que , selon certains rapports , cette classification soit une éventualité très probable à la lumière des demandes du Groupe d'action financière internationale (GAFI) formulée en 2012 à la Tunisie de se confirmer aux normes internationales en la matière. Le plus grave est que cette nouvelle classification tombe au plus mauvais moment, à une date où les autorités tunisiennes se tournent vers les institutions internationales pour trouver des emprunts. Avec les risques que cela implique, peu de bailleurs de fonds vont s'astreindre à soutenir la Tunisie dans sa quête de fonds courant les risques de se voir infliger des sanctions ou de se compromettre. En outre, la conjoncture économique du pays est difficile et les réactions que suscitent encore la loi de finances 2018 reflètent ces difficultés. Une responsabilité avérée Certains n'hésitent pas à dédouaner Chadly Ayari , précisant qu'on lui fait porter le chapeau à lui tout seul, oubliant qu'il faut nécessairement que quelqu'un paye les pots cassés. En tant que gouverneur de la BCT et président de la commission des analyses financières chargée de suivre l'évolution économique et financière du pays et de veiller à la mise en œuvre des transactions financières qui transitent, obligatoirement, par l'Institut d'émission, conformément au droit international, il porte une grande part de responsabilité.,Par ailleurs, il faut se rappeler que depuis sa désignation à son poste, en juillet 2012, aucune décision spectaculaire n'a été prise par le gouverneur de la banque centrale, Chedly Ayari. Les indicateurs économiques n'ont cessé de virer au rouge et le dinar a poursuivi sa chute inexorable, devancé durant ces dernières années par toutes les autres monnaies, en particulier l'euro et le dollar. Certes, Chadly Ayari n'est pas le responsable direct de cette situation qui est liée à d'autres facteurs, entre autres, le déficit de la balance commerciale, la maigre production des richesses dans le pays, etc. Il n'en demeure pas moins qu'il porte une part non négligeable étant le premier financier du pays. Entouré d'une kyrielle de conseillers, le gouverneur de la banque centrale peut recourir à leurs services pour effectuer les choix monétaires judicieux pour le pays et contribuer à lever les obstacles auxquels est confrontée l'économie tunisienne. A l'origine de la nomination Il faut se rappeler les conditions de son élection en 2012, lors du règne de la Troïka, dirigée par le mouvement Ennahdha. En effet, Chadly Ayari est le fruit d'une transaction entre l'ancien président Moncef Marzouki et le parti Ennahdha. C'est Marzouki qui a proposé Ayari, exigeant le limogeage de Mustapha Kamel Nabli qui avait géré l'Institut monétaire au lendemain de la révolution du 14 janvier, réussissant le pari de garder le cap de l'économie et de préserver ses acquis et surtout la valeur du dinar. Très remonté contre l'extradition, à son insu, par le chef du gouvernement de l'époque Hamadi Jebali qui avait livré le Premier ministre libyen du régime de Kadhafi, Al-Baghdzadi Al-Mahmoudi, Moncef Marzouki avait exigé en contrepartie qu'on entérine la nomination de Chadly Ayari et le limogeage de Mustapha Kamel Nabli. Simple caprice de militant de droit de l'homme? Marzouki s'était montré ferme, pensant se venger de Hamadi Jebali en ayant un homme qui lui serait fidèle à la BCT. Fort de ce soutien, Chadly Ayari s'est cru protégé et immunisé et n'a pas daigné œuvrer à sauver l'économie du pays ni à promouvoir sa monnaie nationale. Il a préféré adopter l'attitude du "wait and see" et de l'attentisme, regardant les crises se multiplier, la valeur du dinar dégringoler et l'image du pays ternie par les différents classements sur les listes noires des pays mis au ban de la communauté internationale. Vivement qu'un nouveau dirigeant prenne les rênes de la prestigieuse institution financière du pays et lui faire recouvrer tout son aura et surtout la faire contribuer à la relance et au développement économique et financier de la Tunisie.