Qui ne connait Ibn Khaldoun et ses célèbres « Prolégomènes » ‘Al Muqaddima' ? Père de la sociologie moderne, historien, également, bien que célèbre du sud au nord de la Méditerranée et même au-delà, ne fait pas partie de certains cursus académiques, sauf quand il s'agit de l'évoquer dans des cercles restreints. L'orientaliste français, Georges Marçais n'a-t-il pas dit que « l'œuvre d'Ibn Khaldoun est un des ouvrages les plus substantiels et les plus intéressants qu'ait produits l'esprit humain ? Et voilà qu'au détour d'un cours d'épistémologie des sciences sociales, il est réhabilité et remis à l'ordre du jour par un prof qui fait, devant ses étudiants, à La Sorbonne, un bref retour historique sur la construction des sciences sociales. Dans une chronique publiée par Zaman France, Zinedine Gaid lui rend un hommage des plus vivifiants. « C'est le quatrième ou cinquième cours du semestre et on parle des sophistes, de l'idéalisme de Platon, puis des matérialistes Epicure, Démocrite, jusqu'à Marx et l'usage qu'il en a fait, on évoque rapidement Durkheim, Montesquieu...et puis soudain une phrase attire mon attention plus que les autres, «et je voudrais m'attarder, dit le professeur, sur un personnage en particulier dont on parle peu, et qui à mon sens peut être considéré comme le fondateur de la sociologie... » Là, Zinedine Gaied a senti son cœur flancher, il attendait avec impatience que le prof lâche enfin les mots tant attendus et si chers à ses oreilles. «Et ce personnage, dit-il, c'est... I-B-E-N, Ibn on dit, Kaldun ; mais on prononce «rha», Khaldun, avec un ''h'', Ibn Khaldun». Voilà, c'est fait, je n'y crois pas, c'est lâché, enfin ! Pour la première fois, j'entends en direct-live, un professeur de sociologie, énoncer clairement cette phrase : «Ibn Khaldun est le fondateur de la sociologie.» Mais il ne s'arrêta pas là, dans le peu de temps qu'il lui restait, c'est tout un aperçu des immenses apports épistémologiques de cet intellectuel de génie qu'il tenta de restituer sur près de vingt-minutes. Et plus il parlait, plus des sourires de joie difficilement contenus se dessinaient sur mon visage. En effet, qu'Ibn Khaldoun soit peu mis en avant, on ne peut nier qu'il y a là, malheureusement, une grande part de vérité dans ce propos (les catégorisations partielles et partiales en moins). De même, en dehors des cours d'histoire médiéval auquel j'ai pu assister, le nom d'Ibn Khaldoun ne revient guère, pas plus qu'on ne peut voir son nom apparaître dans des manuels de sociologie ou d'historiographie, sauf exception. Là, Gaid dénonce un déni, « une forme d'omerta concernant certains penseurs et de manière générale, certaines pensées non-occidentales ». En ce sens, il ne m'a pas rendu hommage en tant que musulman ou arabe, en tant que «minorité visible» qu'il faudrait nécessairement valoriser en me rappelant que «ma» civilisation fut productrice, «aussi», de grands penseurs, de grands scientifiques, dont certaines des contributions scientifiques et intellectuelles ont permis de faire progresser l'homme dans l'intelligibilité de ce monde. Le fait est que cela ne m'est pas inconnu, et que ceci, est de fait, une vérité, qu'elle soit occultée ou pas, dite ou non, connue ou méconnue. Et il incombe de la responsabilité morale et intellectuelle de tout un chacun de chercher et de dire autant que faire se peu, la vérité de ce qui est, en rendant à leurs propriétaires temporaires et contingents, leur dû. On ne peut que se féliciter dès lors d'entendre ces propos dans la bouche d'un professeur de sociologie à la Sorbonne, ou de lire les admirables travaux d'Alain de Libera, professeur au Collège de France et spécialiste de philosophie médiéval, celui là même qui précisément recommandait dans l'un des ses ouvrages, Penser au Moyen-âge, aux autorités publiques d'enseigner, également, l'apport intellectuel arabo-musulman ».