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La mort du chien
Ville, campagne et Révolution du Jasmin
Publié dans La Presse de Tunisie le 11 - 06 - 2011


Par Khalil ZAMITI
Divers penseurs, tels Ibn Khaldoun ou Rousseau, perçoivent, dans la cité, corruptrice, l'école de l'artifice et de la facticité.
La campagne, par sa mise en présence de la nature, favoriserait l'initiation à l'authenticité. Outre l'exploitation du rural par l'urbain, pareille différenciation culturelle aurait-elle partie liée avec ce lieu social d'où vint la protestation contre la misère et la revendication de la dignité ?
Au cas où l'hypothèse ne serait pas erronée, quant à la prégnance de l'éprouvé, le geste, insoumis, de Bouazizi qui, lui, sait si bien contester, répondrait à la geste, inouïe, de son alter ego, qui, lui, sait, si bien, et de manière si entière, aimer.
Taraudé par l'insoutenable chagrin, ce passionné anonyme prend son bâton de pèlerin pour fuguer à la mort du chien.
Tout au long d'une investigation menée sur les retenues collinaires et financée par l'Union européenne, mes deux coéquipiers, Michel Bruwels, l'expert en génie rural et Bernard Duhem, l'agro-économiste, focalisent l'éclairage émis par leur boîte à outils sur l'écologie.
Pour ma part, il est question de sociologie. L'enquête a couvert les gouvernorats de Bizerte, Jendouba, Nabeul, Kairouan, Kasserine, Siliana, Zaghouan et Le Kef. En marge des problèmes spécifiés par les termes de référence, adviennent, sur le terrain de l'imprévu, bien d'autres occurrences. Parmi elles figure une bizarre chasse aux canards. Lors d'une réunion tenue avec un groupe de paysans, l'un d'entre eux, silencieux, malheureux, soucieux et les yeux hagards, demeure à l'écart.
Je m'avance vers lui, le saisis par le bras, le convie à esquisser quelques pas et lui demande la raison de son désarroi. Ici, où l'éthos communautaire barre ou, du moins relativise le quant à soi, l'indiscrétion n'existe pas. Touché par l'intérêt porté à son état, l'interrogé, meurtri, me confie ceci : «Mon fils, âgé d'à peine seize ans, est parti depuis plus de vingt jours. Nous ne savons ni où il est, ni ce qu'il est devenu. Sa mère, ses sœurs et sa grand-mère ne cessent de pleurer. Avant de s'en aller, il a demandé à l'un de ses amis de nous avertir, le lendemain de son départ, et de nous dire pourquoi il ne pouvait plus rester ici. Entre lui et son «tarouss» (chien de chasse), il y avait un lien très fort. Ils ne se quittent jamais. Là où se trouve l'un se trouve l'autre. Il dort sur son lit. Dès le début de la nuit, il glisse dans l'eau du lac, attrape un canard et le lui ramène. Il ne le rapporte jamais à quelqu'un d'autre. La viande est chère, mais, pour nous, chaque jour c'est un festin (oualima). Un camion l'a écrasé sur la route. L'enfant est resté deux jours sans rien prendre. Il ne dormait plus. Son ami nous a dit qu'il ne pouvait plus rester là où chaque endroit lui rappelle ce chien. Il serait peut-être parti à Tunis, d'après son ami. Nous avons peur pour lui, car il n'est jamais sorti d'ici».
Chez ce père surpris en flagrant délit de profonde mélancolie, le drame était la raison du vague à l'âme. De là surgira, plus tard, et pour moi, l'envie de confier à l'écriture le soin d'arracher la mort du chien aux cros de l'oubli.
La rédaction est fille de l'émotion. Ce télescopage, brutal de l'amour et de la mort est source d'inspiration. Introductrice du romantisme en France, Madame de Staël écrivait : «L'idée de la mort, qui décourage les esprits vulgaires, rend le génie plus audacieux, et le mélange des beautés de la nature et des horreurs de la destruction excite je ne sais quel délire de bonheur et d'effroi sans lequel on ne peut ni comprendre, ni décrire le spectacle de ce monde».
Mais le plus, ajouté par la plume littéraire, commence là où l'écriture sociologique, hélas, finit. Pour l'enfant traumatisé au point de fuguer, demeurer parmi ces paysages de la parcelle familiale et de leur chute, superbe, sur la retenue collinaire continuerait à remuer le couteau dans la plaie. Avec le départ, pour ne plus voir gambader le spectre du chien adoré, le travail de l'incontournable deuil pourrait commencer. Mais ce rapport établi entre l'espace et la souffrance lève un coin du voile sur un large horizon de pensée.
Un cas de figure illustre ce champ d'exploration et son extrême complexité. Lorsqu'il perdit sa fille, fauchée, sur la route meurtrière, à la fleur de l'âge, un père ne tenait plus en place. Il ne cessait de bouger. A maintes reprises, il gravissait l'escalier, mais, sitôt arrivé à l'étage, il redescendait. Serait-il pris de folie ? En vérité, sans le savoir, il rapportait l'atrocité de l'éprouvé à l'espace occupé par sa corporéité. Au terme de ces tentatives désespérées, il prend, soudain, conscience de l'ambiguïté.
Fuir tel endroit n'est pas échapper à soi. Dans ces conditions, le départ de l'enfant, après la mort du chien aura-t-il suffi à lui assurer la sérénité ? A l'audition de ce témoignage, quelqu'un me dit : «Tout ça pour un chien !» La stigmatisation, sociale, de l'animal resignifie le rapport établi avec lui. Mais eu égard à l'épistémologie contemporaine, la relation déploie l'unique support de l'observation fondatrice de la connaissance et de l'explication.
Au vu de ce critère, seul sûr et certain, il n'y a, au plan du lien, ni homme, ni chien. Jacques Bercque, auquel j'adressais un texte où figurait ce genre d'échos renvoyés entre séquences dépareillées m'écrivait ce mot : «J'y salue l'observation concrète et l'aptitude à mettre dans la même perspective analytique les faits les plus apparemment hétérogènes».
Certes, l'apprentissage académique prescrit la sacro-sainte unité spatio-temporelle de l'entreprise rédactionnelle.
Mais que faire si «les couleurs, les parfums et les sons se répondent». Entre l'immolation allumeuse de la révolution et la désolation de l'enfant traumatisé par la mort, brusque, de son compagnon, l'insupportable sentiment jette un pont là où les hommes de la terre nourricière savent ce que sentir veut dire.


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