« On n'a rien compris à la maladie, tant qu'on n'a pas reconnu son étrange ressemblance avec la guerre et l'amour : ses compromis, ses feintes, ses exigences, ce bizarre et unique amalgame produit par le mélange d'un tempérament et d'un mal ». Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien Un danger imminent menace la Tunisie de Magon, d'Hannibal, de Kahéna, d'Ibn Khaldoun, d'Ibn Achour, de Tahar Haddad et de Bourguiba. Ce danger a pour nom bédouinisme ou, et cela revient exactement au même, wahhabisme. Ce virulent virus est à l'œuvre depuis le 23 octobre 2011, date de l'arrivée au pouvoir de la sacro-sainte coalition wahhabite, sous la trompeuse dénomination de Troïka. Sous couvert de « révolution », de « transition démocratique », de justice transitionnelle », d'« enracinement identitaire », et de bien d'autres salades de ce genre, la coalition tripartite s'est attachée allègrement à la tâche – ô combien « révolutionnaire » ! – de formater la Tunisie d'avant le 14 janvier 2011. C'est ainsi que, sous le prétexte fallacieux de rompre avec le patrimoine maudit de la dictature, qui aurait débuté avec la proclamation de la république et se serait poursuivie jusqu'au 14 janvier 2011, la patrie de Didon a été dépouillée de l'ensemble de son histoire postcoloniale. De 1957, et jusqu'à la chute de l'ex-président, il ne se serait rien passé dans le pays de Jugurtha en dehors de l'ignominie despotique de l'illustre Bourguiba et de son triste usurpateur, le médiocre général Ben Ali. Les héritiers de ce néant, que le hasard – ou la malédiction – de l'histoire a propulsés aux devants de la scène, sont catégoriques : la Tunisie aurait vu le jour le 23 octobre 2011. Il leur revient de droit d'élever ce bébé, de l'entretenir, de l'éduquer et de lui inculquer les valeurs qui renforceraient son identité arabo-musulmane dont il aurait été dépouillé depuis toujours. Il est donc normal que le conquérant Oqba Ibn Nafi' revienne avec ses saintes troupes pour initier les mécréants de Tunisie aux Lumières de l'Islam ! La cohorte des prédicateurs wahhabites, pour la plupart des hommes frustes, incultes et loufoques, sont venus donc, sur invitation expresse des maîtres de céans, R. Gannouchi en tête, avec l'assentiment et la bénédiction de M. M. Marzouki et M. ben Jaâfar, pour accomplir la cette tâche « révolutionnaire » qui consiste à bédouiniser l'illustre cité de Tunis. R. Gannouchi, abusant de la bienveillance de ses alliés providentiels, laïcs de surcroît, met les bouchées « triple » (une en son nom propre, et deux autres aux noms de ses acolytes consentants) et, cédant à la fringale qui frappe les adeptes d'absolu, entend accomplir en deux ans l'exploit – ou plus précisément le « miracle » – qu'il a prévu de réaliser en deux décennies ! Ses partenaires « laïcs », dont la docilité ne cesse de le surprendre, lui ont offert la citadelle bourguibienne sur un plateau d'or, presque pour rien. Surpassant en générosité l'illustre Hatem Ta-i, ils ont volontairement préparé le terrain pour que le viol se passe dans les meilleures des conditions. Pour ce faire, un putsch a été préparé minutieusement entre le 23 octobre 2011 et le 22 octobre 2012, exécuté le 23 octobre 2012, en vertu duquel la Tunisie a été livrée, mains et pieds liés, à la vindicte et à la convoitise des islamistes. C'est en effet grâce aux « voix » laïques – ou prétendues telles – que le mouvement ultra-fondamentaliste de R. Gannouchi a démoli l'œuvre grandiose de Bourguiba. Sans la complicité active de M. M. Marzouki et M. ben Jaâfar, qui ont été les artisans zélés du putsch du 23 octobre 2012, le parti islamiste n'aurait pas eu le temps matériel nécessaire pour parfaire son sinistre dessein. L'histoire retiendra les noms de ceux qui, palabrant aux noms de la République et de la Démocratie, n'ont pas hésité à s'associer aux ennemis irréductibles de la modernité, de la laïcité, des droits de l'homme ; bref de l'Histoire. Le CPR, plus que l'autre formation qui se plaît dans son rôle de pantin, est celui qui, tôt ou tard, devrait répondre des crimes abominables qu'il a perpétrés, au nom d'une « révolution » dont il s'est servi comme d'une aubaine, contre la Tunisie, ses enfants, ses femmes, sa jeunesse et son intelligentsia. La république, que les pseudo-laïcs de la Troïka prétendent servir, n'est plus. La démocratie, qu'ils entendent instaurer dans le pays, avec le concours des islamistes !!!, est une chimère. Pour s'en assurer, il suffit de rappeler le cortège macabre des projets de lois que les « élus » nahdhaouis proposent à l'attention de leur « foyer de légitimité » ! Les projets de lois les plus absurdes et les plus déstabilisateurs, dont ceux des awqafs et des mosquées, élaborés par un gouvernement provisoire, démissionnaire en principe depuis le 15 novembre 2013, devraient être ratifiés, de manière urgente, par une assemblée illégitime depuis le 23 octobre 2012 ! Ce forfait en particulier, et bien d'autres qui l'ont précédé, n'auraient pas été possibles sans la bienveillante complicité des « alliés » de R. Gannouchi. La mascarade continue de plus belle, sous le prétexte saugrenu de donner aux « élus » le temps nécessaire pour parfaire leur « œuvre ». Sous d'autres cieux, ces « usurpateurs » cupides, dont certains se sont convertis en de véritables mercenaires à la solde du plus offrant, qui s'attachent à une légitimée périmée depuis belle lurette, auraient été traduits en justice et contraints de restituer la totalité des émoluments perçus injustement depuis le 23 octobre 2012. Bien plus, pour avoir failli à leur engagement d'élaborer la nouvelle constitution en l'espace d'une année, et pour avoir fait perdre aux Tunisiens un temps précieux, ils auraient été condamnés à indemniser leurs victimes. M. ben Jaâfar, qui tient à son marteau plus qu'à toute autre chose au monde, en a décidé autrement. Les Tunisiens, excédés par les frasques sordides de leurs prétendus « constituants », viennent d'apprendre, par la bouche infaillible du neveu de R. Gannouchi, génie jurisprudentiel hors pair, que la constitution, tant attendue, ne serait pas finalisée avant quatre mois, au bas mot. Un certain Habib Ellouz, un « élu » qui est passé maître dans l'art de la diversion, « exige » (quand on a les moyens de sa politique, des « alliés » aux ordres et une nuée de « courtisans », on peut tout se permettre), aux noms des « élus » de son bloc prolifique, que la dite constitution, une fois prête (inchallah !), soit paraphée par l'actuel chef du gouvernement qui vient de réitérer sa détermination de démissionner dès que les constituants se seraient acquittés de leurs interminables – et combien coûteuses ! – tâches ! Il ne faut pas être sorcier pour décrypter les dessous de ces innocentes déclarations. En tout cas, pour le tunisien moyen que je suis, j'ai cru comprendre que le premier ministre en exercice devrait rester en poste jusqu'à la finalisation du fameux document qu'il aurait l'insigne honneur de parapher de sa sainte main de septième calife de je na sais quelle dynastie obscure ! Il s'ensuit, en toute bonne logique nahdhaouie (qui n'a rien à voir avec la logique cartésienne païenne), que le gouvernement en place ne démissionnerait pas avant que son chef ne se soit acquitté de cette tâche révolutionnaire ! Nous en déduisons que des jours difficiles attendent le quartette, responsable d'accomplir un miracle impossible. Il sera contraint, bon gré mal gré, de reporter indéfiniment la fin du « dialogue national » pour exaucer le vœu du dénommé H. Ellouz (c'est d'un ordre qu'il s'agit en fait), de son cher Frère Ali Lâraïdh et de leur grand Frère à tous, le maître incontesté de la théocratie tunisienne, R. Gannouchi ! Le Tableau est on ne peut plus éloquent : la Troïka se révèle sous son vrai jour, et se proclame, sans le moindre détour, islamiste à cent pour cent. Le jour « J », les laïcs, qui ont tout sacrifié pour plaire à leurs puissants alliés, poussant la loyauté jusqu'à vendre leurs âmes au diable, ne seraient pas de la partie. La constitution, islamiste jusque dans ses moindres détails, ne saurait être paraphée que par le plus coriace des islamistes de Tunisie, le bras droit de sa sainteté immaculée R. Gannouchi. Il est normal que, en rentrant chez eux, les maîtres de céans abandonnent les serpillières, dont ils se sont servis pour s'essuyer les pieds, sur le seuil. Depuis quand les serpillières devraient-elles trôner aux côtés des humains sur les tribunes réservées aux illustres défaiseurs des nations ?!