Nous l'avions répété à plusieurs reprises : en ces temps de grandes tergiversations qui tournent franchement à la tension passionnée, nous n'avons pas d'autre recours et d'autre méthode pour apprendre la démocratie que de cultiver, en nous et entre nous, l'esprit de conversation. Rappelons que l'esprit de conversation n'est pas tout à fait le dialogue, à moins que, par un abus de langage qui risque d'être un abus de pensée, on ne s'obstine à les confondre. En effet, dans le dialogue, il y a souvent quelqu'un qui cherche à convaincre l'autre du bien-fondé de sa pensée ou de sa vérité. Il s'investit donc dans une rhétorique appropriée à son objectif et, à peine cède-t-il la parole à l'autre, que sans l'écouter attentivement, il se prépare à lui répondre. C'est des dialogues de ce genre qui « infestent » nos plateaux médiatiques où les interlocuteurs, surtout les politiques, sont souvent en compétition dans une joute oratoire où l'on a le sentiment que c'est celui qui crie au plus fort qui finalement l'emporte. Dans le même état d'esprit, je dirais que le blocage des négociations salariales entre l'UGTT et l'UTICA est dû au fait que cela se déroule dans l'esprit du dialogue et non dans celui de la conversation. En effet, dans l'esprit de conversation, personne ne vient avec des idées arrêtées et des décisions quasiment formulées, avant même que l'on en parle. Au contraire, chacun doit venir avec la souplesse nécessaire à une perception objective des données de l'interlocuteur et à une intelligence de son appréciation des choses. Ainsi, quand des deux côtés on est animé par cette capacité à relativiser les choses et à rationaliser la démarche, on aboutit au consensus ou à un accord qui s'en approche au point de passer pour tel. Finalement, chacun se sera enrichi du contact de l'autre en apprenant avec lui la juste mesure des choses, dans l'accompagnement solidaire plutôt que dans l'opposition conflictuelle. Cette thèse est théoriquement très ancienne puisque remontant à l'antiquité, mais pratiquement irréalisable selon certains dont la mauvaise volonté est la principale cause de cette prétendue impossibilité. Si j'ai tenu à la reprendre aujourd'hui, c'est pour souligner des tentatives heureuses, dans notre pays, pour initier un tel état d'esprit, l'esprit de conversation, qui est l'école la plus sûre de l'éducation à la démocratie. En effet, dernièrement, pour trouver une issue à la grève des étudiants des facultés de médecine de Tunis, Sousse, Monastir et Sfax, contestant la loi sur le régime des études de médecine, le ministre de la Santé a désigné un interlocuteur, supposé de confiance et de compétence, « pour faciliter les négociations concernant la loi » en question, publiée par son ministère. Ce que j'ai retenu d'essentiel dans le communiqué annonçant la solution du ministre, c'est ceci : « Lors de ces négociations, il sera question de discuter les divers points de divergences, afin d'arriver à un consensus qui saura satisfaire toutes les parties ». Tout est dit, c'est cela l'esprit de conversation. A l'orée d'une restructuration de son gouvernement, devenue d'une grande urgence et d'une pressante nécessité, le président du Gouvernement gagnerait à être attentif à ces démarches qui construisent sans violence et sans entêtement. « Conduire le voleur jusqu'au pied de la porte », dit un proverbe de chez nous. Ce n'est qu'au fin bout de la conversation, si un entêtement malhonnête bloque les négociations, qu'on peut forcer dans le sens de l'infléchissement des décisions qui n'attendent pas, et sans jamais laisser rompre « le cheveu de Mouaouia ». Sauf avec les terroristes de tous genres. Habid Essid va avoir à évaluer son équipe actuelle et il devra le faire en bonne âme et conscience, sur des dossiers bien ficelés et des données justifiées, pour mettre la personne qu'il faut (homme ou femme, indifféremment), là où il faut. Car trop nombreux, pour la situation actuelle de la Tunisie, sont les membres du gouvernement qui ne sont d'aucun rendement ou presque. Il y en a qui font tout sauf ce qui relève de leur portefeuille, ou qui sont dans une planque à l'ombre d'un ministre supportant seul les critiques, ou alors qui sont là ne se justifiant ni d'un quelconque équilibre politique ni d'une évidente compétence technocrate. Tout au plus une quinzaine de ministres et au mieux cinq secrétaires d'Etat. Voilà ce qu'il faudrait à la Tunisie d'aujourd'hui. Comptez aussi la plus-value budgétaire et les chiffres vous étonneront. C'est ce qu'on appelle « la bonne gouvernance » !