Les hypermarchés sont-ils un danger pour l'industrie nationale ? Par Moncef MAHROUG
En rognant sur les marges de leurs fournisseurs et en recourant massivement à l'importation, les hypermarchés excluent petit à petit les produits tunisiens de leurs rayons, affirme Mohamed Kilani, spécialiste de la grande distribution. Pendant longtemps, totalement absents du paysage commercial national, les hypermarchés y occupent aujourd'hui une place importante. Après «Carrefour» en 2001 puis «Champion», appartenant à «UTIC», le groupe de M. Taoufik Chaïbi-, l'enseigne «Géant» est arrivée en septembre 2005. Ce qui donne à penser que ces mastodontes y ont naturellement leur place et qu'ils trouvent le succès sur lequel ils tablaient. Mais est-ce bien le cas ? La réponse est non pour Mohamed Kilani, enseignant à l'Institut des Hautes Etudes Commerciales de Carthage. Ce spécialiste du marketing et de la grande distribution rappelle que les hypermarchés sont faits pour des marchés où les populations ont un fort pouvoir d'achat. Ce qui, d'après lui, n'est pas le cas de la Tunisie. De ce point de vue, «Tunis est l'équivalent d'un quartier de Paris». Devant la difficulté «à trouver un marché solvable», et pour pouvoir offrir «les prix les plus attractifs», les hypermarchés négocient durement avec leurs fournisseurs. Ces négociations «sont très difficiles à vivre pour les entreprises» qui plaçaient des espoirs dans les grandes surfaces «en termes de trésorerie». En Tunisie, rappelle Mohamed Kilani, «une entreprise industrielle réalise à peu près 40% de marge. Or, si on lui en prend 25%, il ne lui reste plus rien. De ce fait, l'industriel ne s'en sort pas. Il se trouve aujourd'hui dans une situation dramatique». De fait, constate cet expert, les relations entre grandes surfaces et fournisseurs ne sont plus ce qu'elles étaient. «Avant l'arrivée de Carrefour, les relations entre entreprises et grandes surfaces étaient moins tendues. Il y avait une certaine collaboration, une certaine entente et compréhension». Mis sous pression, les industriels se posent donc des questions et notamment une : faut-il continuer à travailler avec les grandes surfaces ? D'ailleurs, précise Mohamed Kilani, les seuls industriels qui s'en sortent sont ceux qui importent. «Ce sont des gens qui ont une marge de 60-70%, et s'en sortent donc bien même en accordant 25%» aux hypermarchés. D'ailleurs, «on voit aujourd'hui dans les rayons de plus en plus de produits importés. On est loin des 80% de produits tunisiens. Si cela continue, il n'y aura bientôt plus de produits nationaux». «Les hypermarchés se sont transformés en discount. Mais au lieu que le discount soit fait avec des produits tunisiens, il l'est avec les réserves françaises, italiennes, belges, etc. Ces grandes surfaces sont aujourd'hui une vitrine pour le déstockage de produits venant d'Europe». Au bout du compte, constate cet enseignant, «on est en train de détruire la structure de production tunisienne et d'encourager les Tunisiens à devenir des importateurs. Plus grave, avertit Mohamed Kilani, «on vend des produits d'Asie fournis non pas par des structures formelles» mais appartenant au marché parallèle. «On a même des produits complètement périmés; par exemple des ordinateurs tournant sous Windows 95». Constatant que les relations entre entreprises et centrales d'achat «sont régies par des règles de jeu qui ne sont pas conformes aux lois tunisiennes» -mais à celles en vigueur .en France-, Mohamed Kilani en appelle à une intervention du ministère du Commerce et de l'Artisanat pour mettre de l'ordre dans ce secteur.