Sociétés cotées et endettées doivent s'y mettre Pour M.Salah Dhibi, président du Conseil de l'Ordre des Experts Comptables, la Tunisie doit adopter les normes IAS-IFRS. Et ce sont les sociétés cotées en bourse et celles ayant un endettement assez élevé qui doivent être les premières à s'y conformer. WMC : Depuis votre élection à la tête de l'Ordre des Experts Comptables de Tunisie (OECT), vous avez lancé une campagne en vue de l'adoption des normes IAS-IFRS, afin de standardiser la présentation et la lecture des états financiers des sociétés. Qu'est-ce qui motive cette action ? Salah Dhibi : Nous voulons, en tant que corporation, aller dans le même sens que celui adopté par nos dirigeants en matière de politique économique. En effet, notre pays a adhéré à l'OMC, il a signé un traité de libre-échange avec l'Europe, et des conventions similaires avec d'autres pays. Ce qui veut dire que nous nous orientions de plus en plus vers l'ouverture et l'internationalisation. Et c'est dans ce cadre-là, que nous oeuvrons à l'adoption de normes internationales, que ce soit en matière d'audit ou de comptabilité. Faut-il rappeler que la Tunisie, dans l! e cadre de ses choix économiques a choisi d'encourager l'investissement étranger et par voie de conséquence l'exportation. Mais pour que les investisseurs étrangers viennent investir dans notre pays, il faut qu'ils trouvent des pratiques et des normes compatibles avec les leurs, c'est-à-dire une législation conforme à celle de l'Europe et de l'Occident ; d'une façon générale, un droit comptable identique à celui adopté par les instances internationales. En matière de droit comptable ; il y a deux volets, la production des états financiers et l'Audit des états financiers. Pour ce qui est de l'audit et du contrôle des états financiers, leurs normes sont du ressort de l'Ordre des Experts Comptables de Tunisie (OECT), nous avons adopté purement et simplement les normes internationales en vigueur. Aujourd'hui, donc, les auditeurs et les experts comptables qui procèdent à la révision des états financiers, en Tunisie, appliquent les normes adoptées par l'IFAC. Pour ce qui est des normes touchant à la technique comptable, ce n'est pas l'OECT qui élabore les normes comptables, mais le Conseil National de la Comptabilité qui en a la charge et c'est une instance qui est présidée par Monsieur le Ministre des Finances. - Ce conseil s'est-il prononcé sur la question des normes comptables ? La loi 96-112 du 30 décembre 1996 a mis en place un système comptable inspiré pour l'essentiel des normes internationales. Mais depuis 1997, date d'entrée en vigueur de ces normes, et à nos jours, nous constatons qu'un écart s'est creusé par rapport aux normes internationales. - Dans quel domaine ? - On ne peut pas énumérer tous les aspects sur lesquels il y a eu divergence, mais je cite à titre d'exemple, le problème de l'évaluation des immobilisations. Les normes internationales parlent de la «juste valeur », ce qui veut dire qu'on est sollicité, à la fin de chaque exercice, de ramener la valeur des éléments d'actifs à leur juste valeur. Alors que nous adoptons encore le «coût historique », par l'évaluation des immobilisations c'est-à-dire le prix d'achat de l'élément immobilisé. Aujourd'hui, la question est la suivante : faut-il oui ou non appliquer les normes IAS-IFRS ? A toutes les entreprises ou à une catégorie d'entre elles ? Certains pays ont opté pour une adoption progressive des normes, les appliquant dans une première étape, aux entreprises d'une certaine taille, dotées de filiales, ou à celles ayant un certain niveau d'engagement. La question assez brûlante- qui se pose est la suivante : faut-il que la petite et moyenne entreprise qui représente près de 90% du tissu économique international, en nombre et même parfois en valeur- applique les normes IAS-IFRS ou faut-il prévoir des normes spécifiques pour ces PME ? L'application de ces normes implique d'affronter un problème de coût, de formation, d'efficacité. Si on opte pour des normes spécifiques, on va avoir deux langages, un pour les entreprises les plus importantes, et un autre pour les PME. Certains professionnels et académiciens trouvent cela anormal et affirment qu'il faut avoir une seule méthode de comptabilisation. D'autres disent qu'il faut prévoir un système de comptabilisation à la mesure de ces PME. Donc, le débat est ouvert et le congrès que nous organisons va traiter de cette question. - Quelle est la position de l'OECT à ce sujet ? - Nous estimons que les sociétés cotées et celles ayant un niveau d'engagement assez élevé doivent absolument et de toute urgence appliquer les normes IAS-IFRS. Pour cela, il faudrait que ces normes soient adoptées à l'échelle du pays. Pour les PME, je dirais que notre système comptable a déjà essayé de résoudre la question, puisqu'il a prévu, au niveau conceptuel et de l'organisation du système comptable, ce que nous appelons la norme générale. Cette norme est adaptée à la petite et moyenne entreprise et il suffit de l'actualiser, et de la rendre compatible avec la position qui va être arrêtée sur le plan international. L'expérience tunisienne va constituer une sorte de référence pour les instances internationales, puisqu'elle a essayé de résoudre le problème de la comptabilité des grandes entreprises, comme des petites. - Quelle est la position du gouvernement sur la question ? - Le gouvernement est en train de réfléchir sur la question. Il veut d'abord écouter la profession et pour cela une commission a été créé pour étudier les voies et les moyens utiles. Je pense qu'après notre congrès et l'exposé-sondage qui a été déjà lancé par les instances internationales, on saura prendre la meilleure solution.
- Les entreprises tunisiennes sont-elles selon vous prêtes pour s'engager dans cette voie ? - Nous n'avons pas le choix. Si nous maintenons le cap de l'ouverture économique, il faut appliquer ces normes internationales. - Au cur de question des normes, il y a la problématique de la transparence. Que pensez-vous des entreprises qui se soustraient à la notation des agences de rating, après s'être prêtées à cet exercice ? -Aujourd'hui, l'entreprise n'est plus la propriété de son actionnaire, fut-il majoritaire. L'entreprise est protégée par la loi. Elle appartient à son environnement : au bailleur de fonds; à l'administration fiscale, à la Caisse nationale de sécurité sociale, au salarié, qui ont tous un droit de regard sur cette entité. De ce fait, on n'a pas le droit de traiter l'entreprise comme on veut. Elle doit être respectée et, pour cela, elle doit obéir à des règles au niveau de la production, de l'organisation, de la gestion, et de la tenue de la comptabilité et quand un! incident de parcours l'empêche de continuer son exploitation d'une manière convenable, on est obligé de lui prêter secours. La loi 95/34 sur les entreprises en difficultés n'a telle pas été prévue à cet effet- ? Propos recueillis par Moncef Mahroug