Il est de Tunisie, pays du cinéma africain, mais c'est bien sur le 7e art français qu'il règne. La ministre française de la Culture, Christine Albanel, s'émeut de cette opération de concentration.
Tous les laboratoires cinématographiques français appartiennent à un Africain. Le Tunisien Tarak Ben Ammar, en l'occurrence. En rachetant, le 19 décembre 2007, les laboratoires de développement de films Eclair, le Tunisien totalise désormais un chiffre d'affaires de 160 millions d'euros et un effectif de 820 salariés.
Ce n'est plus l'Afrique qui craint la mainmise occidentale. C'est la ministre française de la Culture, Christine Albanel, qui s'émeut de cette «opération de concentration» et prévoit de rencontrer le magnat venu de l'autre côté de la Méditerranée. Les trois organisations françaises d'auteurs, réalisateurs et producteurs de cinéma, l'ARP, la SACD et la SRF, s'inquiètent également des éventuelles conséquences sociales de l'opération.
Le Tunisien rassure. «J'ai racheté des laboratoires qui étaient au bord du dépôt de bilan, j'ai investi 50 millions d'euros sur cinq ans pour les renflouer et les préparer au numérique et j'ai sauvegardé l'emploi. Je suis un homme de cinéma, pas un banquier, ni un spéculateur, je gère ces sociétés en bon père de famille».
Long chemin
Qu'il est long le chemin qui mène au faîte du cinéma ce fils, né le 12 juin 1949, d'un père tunisien et d'une mère corse catholique, convertie à l'islam pour épouser son père. Ce que n'exige toutefois pas l'islam. C'est pourtant un lycée américain catholique de Rome qu'il fréquente à treize ans, car le père est diplomate tunisien. Puis, c'est l'Université catholique de Georgetown, aux Etats-Unis, qui l'accueille.
Diplômé d'économie, il est admis à la célèbre Harvard, mais ne la rejoint pas. Piqué par le virus du cinéma, il monte en Tunisie sa propre société de production, Carthago Films. Peut-être ébloui par les lumières et la magie du cinéma.
Sa terre natale est un pays de cinéma. Il a dix-sept ans quand le ministre tunisien de la Culture, Chedli Klibi, lance en 1966 les Journées cinématographiques de Carthage, la première manifestation du genre dans le monde arabe pour « un dialogue, franc, lucide, sans arrière-pensées. Un tel dialogue ne peut conduire qu'à une meilleure connaissance réciproque entre Africains et Européens, entre Méditerranée du Sud et Méditerranée du Nord », explique le ministre. Le premier lauréat, Tanit d'or du festival, est le Sénégalais Ousmane Sembène pour La Noire de..., alors que le Tanit d'argent récompense Le premier cri, du Tchécoslovaque Jaromil Jires.
Son ascension est brutalement remise en question par le fiasco de Pirates, film qu'il produit pour Roman Polanski.
Festival
Outre son festival, la Tunisie abrite de très beaux sites qui attirent de plus en plus de cinéastes qui viennent y tourner. Ben Amar voit le parti à en tirer. Il va s'occuper des gros tournages de films. Avec de sérieux atouts. Il est le neveu du président Bourguiba, par sa tante Wassila, l'épouse de l'homme fort tunisien. Il a ses entrées et peut ouvrir toutes les portes. Il est aussi polyglotte. Il parle italien, vestiges de ses études au lycée catholique de Rome, anglais pour avoir poursuivi ses études aux Etats-Unis. Sans compter l'arabe et le français qui sont pratiquement ses langues maternelles en tant que Tunisien.
Les réalisateurs attirés par le soleil et les paysages diversifiés tunisiens sont heureux de pouvoir compter sur quelqu'un qui s'occupe de toute la logistique. Surtout qu'il ne rechigne pas à la tâche. Il est ainsi à la fois assistant, régisseur, comptable et, à l'occasion, chauffeur.
Le premier grand film qu'il produit est Les Magiciens, de Claude Chabrol, en 1976. Progressivement, Carthago Films monte en puissance. Il participe au tournage en Tunisie d'une soixantaine de films dont les plus connus sont La Guerre des étoiles et Les Aventuriers de l'Arche perdue. Il acquiert bientôt une envergure internationale. Il commence à constituer un véritable empire, avec en Tunisie une nouvelle pièce, les Studios Imperium. De son passage italien, peut-être ses liens avec Silvio Berlusconi. Il produit avec lui une série sur la chute de l'Empire romain, Anno Domini, en 1983. C'est un succès commercial et financier. Le partenariat avec son ami italien se poursuit. En 1989 il crée une nouvelle société, Quinta Communications, en association avec lui. Le capital de la société est de 130 millions de francs français.
Coup dur
Ses qualités de gestionnaire prudent ne lui évitent pas les coups durs. Son ascension est brutalement remise en question par le fiasco de Pirates, film qu'il produit pour Roman Polanski. Il est embarqué dans un imbroglio juridico-financier. Mais le dénouement est aussi inattendu que salvateur. Il gagne le procès contre la major américaine Universal. Près de 14 millions de dollars de dommages et intérêts lui sont versés. Une première dans l'histoire du cinéma.
Son empire cinématographique se consolide avec l'acquisition du groupe Quinta, qui regroupe une grande partie des industries techniques du cinéma français (image, postproduction, effets spéciaux, son). L'acquisition d'Eclair fait de lui le numéro un de la production française et une très bonne place dans le cinéma européen.
L'Europe ? Il achète pour 85 millions d'euros, 75% d'Eagle Pictures, le premier distributeur indépendant italien, et s'intéresse à des actifs en Scandinavie et en Allemagne. En Amérique du Nord, il entre à hauteur de 15% au sein du capital du Canadien Alliance, spécialisé dans les films indépendants américains, qui possède le Britannique Momentum et l'Espagnol Aurum.
Il ne cache pas ses ambitions. Les majors américaines contrôlent 70% du marché de la distribution de films en Europe. «Il reste 30% à prendre pour une major européenne !» La sienne, bien évidemment.
«Je suis un homme de cinéma, pas un banquier ni un spéculateur, je gère ces sociétés en bon père de famille».
Diversification
Le cinéma dompté, il diversifie ses activités. En 1995, il entre de plain-pied dans l'univers des médias. Il est nommé administrateur et membre du conseil d'administration de Mediaset, la société qui regroupe les chaînes italienne et espagnole de Silvio Berlusconi. Il rachète aussi à Rupert Murdoch deux fréquences hertziennes italiennes, Europa TV et Prima TV. En France, il est propriétaire de 14% du capital de la chaîne de télévision bretonne TV Breizh.
«Je veux monter d'ici à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine un fonds d'investissement dans les médias avec ceux qui me font confiance». Vincent Bolloré, un autre de ses amis, qu'il a aidé à entrer dans le conseil d'administration de la prestigieuse banque d'affaires italienne Mediobanca, se dit déjà prêt à l'accompagner : «Tarak n'est plus un intermédiaire, mais un investisseur à part entière. Voilà plusieurs mois que je lui conseille de bâtir son propre groupe et je l'accompagnerai s'il le souhaite».
Tarak Ben Amar est désormais membre du gotha des hommes du cinéma et de la communication. Ses amis sont Silvio Berlusconi, Leo Kirch, Rupert Murdoch, sans oublier le prince saoudien Al Waleed, qu'il a convaincu d'investir dans les médias.
A Tunis, il habite dans les quartiers les plus huppés. A Paris, une grande villa à la Porte d'Auteuil. Il y reçoit le téléphone mobile à portée de main. En 25 ans, pour plus de 500 millions de dollars, Ben Ammar a produit plus de 50 films. Un tel succès n'est pas bien vu par tout le monde. Surtout qu'il s'est engagé en 2004 dans la controversée La passion du Christ de Mel Gibson. Sans doute se sent-il de taille à affronter ceux qui l'accusent d'antisémitisme. (Source : http://www.lesafriques.com/africain-de-la-semaine/tarak-ben-amar-un-tunisien-regne-sur-le-cinema-fra.html?Itemid=195?article=5208)