Ils seraient combien les agents immobiliers opérant rien que dans le grand Tunis ? Question toute simple à laquelle toutefois personne ne saurait répondre. Ils seraient peut-être, sur tout le territoire tunisien, un millier ou un peu plus, peut-être un peu moins. Un semblant de réponse très vague qui traduit déjà le caractère flou d'une profession où l'on arrive, exerce et disparaît sans que quiconque s'en aperçoive. En voici la plus belle illustration : «En ma qualité de président de la Chambre syndicale et moi-même agent immobilier, j'ai adressé au gouvernorat de l'Ariana une correspondance où je sollicitais la liste exhaustive des agents immobiliers exerçant dans le secteur. Au bout de quelques jours, j'ai reçu une liste où mon propre nom ne figure même pas». Pour apprécier un tantinet l'atmosphère générale où évolue cette profession, il s'agit donc de tenter de répondre aux questions de savoir comment on y arrive, que faudrait-il pour pouvoir exercer correctement, et comment on en arrive à lâcher prise, à disparaître. Pour devenir agent immobilier, une profession qui relève du ministère du Commerce, il s'agit de se soumettre au cahier de charges dont les points les plus importants sont : avoir un bac + 2 minimum, se prévaloir d'une caution bancaire allant de 2 à 6 mille dinars, avoir une assurance de responsabilité civile, et une expérience d'au moins cinq années. Plus précisément, la caution bancaire est de deux mille dinars si l'on est seulement agent immobilier, de trois mille dinars si l'on est gérant des biens (loyers), mais de six mille dinars si l'on joue sur les deux registres. La rémunération de l'agent immobilier, celui qui joue l'intermédiaire entre le vendeur et l'acheteur («le mot exact qui nous convient est bien Samsara»), va en principe de 2 à 3% du montant du contrat, comme elle peut être décidée en commun accord. Le gérant, lui, semble beaucoup mieux loti puisqu'il gère des biens d'autrui en permanence, donc perçoit entre 5 et 10 % en permanence des honoraires ; il ne paraît pas avoir trop à se plaindre. C'est l'agent immobilier, qui ne fait que cela, dont la tâche n'est pas de tout repos. Car, faut-il le préciser, il n'achète rien et ne vend rien, il se positionne tout simplement en tant qu'intermédiaire entre les deux parties. Le plus grand handicap qui frappe la profession, comme tient à le rappeler M. Chokri Keskes, président de la Chambre syndicale et lui-même directeur de sa propre agence, se résume en ceci que tout un chacun peut s'ériger en agent immobilier sans l'avoir cherché. Explication : je suis par exemple un garçon de café, je sais que vous avez une maison à vendre, eh bien, le jour où j'apprends que quelqu'un veut acheter une maison, je vous mets en contact et, selon que vous êtes très gentil ou pas, je peux vous tirer une trentaine de dinars en guise de remerciements. Tout un chacun peut, occasionnellement, faire l'intermédiaire. Mais cela suppose bien des risques : je peux promettre la vente de votre bien à une dizaine d'acheteurs potentiels, en tirant sur chacun d'eux une commission, puis je disparais dans la nature. Ils ne peuvent rien contre moi et je n'ai même pas d'adresse fixe. Raison pour laquelle le plus sage serait de s'adresser à un agent immobilier en bonne et due forme. Ironie du sort, même l'agent immobilier peut se voir jouer des tours du genre. C'est que certains clients évitent de signer un contrat avec l'agent immobilier au prétexte que la confiance est de mise. Ce qui fait qu'il arrive que l'acheteur et le vendeur d'un bien rentrent tout satisfaits de la transaction, alors que lui, l'agent, ne peut que rentrer bredouille. De tels risques du métier, ne les courent que précisément les intrus dans la profession et qui agissent sous d'autres noms. C'est pourquoi ils sont impossibles à cerner, et c'est pourquoi ils arrivent aujourd'hui à la profession pour la quitter à plus ou moins longue échéance. M. Keskes le confirme : « Il est vrai que le nombre des agents immobiliers augmente sensiblement d'une semaine à l'autre, mais nombreux sont ceux qui ferment vite». Qui reste alors sur la scène ?... L'agent immobilier, pour exercer tranquillement, doit avoir un capital confiance sans la moindre faille, mais surtout avoir un portefeuille clients (administrations, particuliers, etc.) bien fourni. Tout repose sur ce portefeuille sans lequel on n'est pas. Bien sûr, le tapage publicitaire (encarts sur les journaux, spots à la télé ou à la radio) aide beaucoup et jusqu'à une certaine limite. Le métier, sinon, exige beaucoup de savoir-faire et de relations. Et malgré tout, l'agent immobilier court d'autres risques. C'est que, pour un même bien (une maison par exemple), le client peut en avoir saisi trois ou quatre agents en même temps. Auquel cas, l'agent se déplace plusieurs fois avec les acheteurs potentiels pour les faire visiter la maison, et apprend un jour qu'elle a tout bonnement été vendue par l'intermédiaire de l'un de ses collègues. Du temps et des frais de déplacement pour rien, et sans même avoir la latitude de se retourner contre le propriétaire lui ayant fait appel. C'est d'autant plus risqué que le bien en question peut être n'importe où, l'agent immobilier n'étant pas limité à exercer dans un espace géographique donné, mais sur tout le territoire du pays. D'ailleurs, la Chambre est en pourparlers avec l'Union Européenne en vue de permettre à l'agent tunisien d'opérer sur le bassin méditerranéen, et vice-versa. En attendant, la profession ne semble pas vraiment au beau fixe. Il est reproché au cahier des charges plusieurs points, et à commencer par la caution bancaire : «A quoi rime cette caution ?, s'interroge M. Keskes. Nous faisons du service, non du commerce. Nous, nous n'achetons rien et ne vendons rien. Pis : nous n'avons pas le droit de percevoir une avance auprès du client. Par conséquent, qu'avons-nous à cautionner ? Déjà que nous nous acquittons de l'assurance responsabilité civile, et comme si c'était peu de chose que d'avoir obligatoirement une caution bancaire, eh bien il faudrait qu'en plus nous payions l'intérêt bancaire sur cette même caution !». Autre tracasserie : «A 18 %, la TVA est franchement lourde pour nous. D'autant plus lourde que nos clients ne nous paient pas la TVA». Or, les agents immobiliers eux-mêmes ne semblent pas se préoccuper outre mesure de leur propre profession : «Je suis persuadé qu'il existerait un bon millier d'agents sur tout le territoire, mais ne sont adhérents à la Chambre que 26 ! A cause des malheureux 30 dinars par an, ils boudent la Chambre pour ne s'en souvenir que lorsqu'ils sont confrontés à des problèmes». Et alors ? «Et alors, conclut M. Keskes, attendu les intrus qui font du n'importe quoi ; étant donné l'absence d'encouragement ; et vu le poids de nos charges (certains parmi nous emploient jusqu'à sept personnes de manière permanente), j'ai comme l'impression que la profession est en voie de disparition ».