La source d'information, le journaliste et le citoyen : un vrai triptyque (au sens propre du terme) dont les deux extrêmes se rabattent constamment sur le milieu. Dans notre pays, la source d'information dit toujours n'avoir rien à se reprocher. Le citoyen se plaint toujours de n'avoir, s'il l'a, qu'une information tronquée ou carrément mensongère. C'est donc clair : le journaliste ne fait pas son devoir comme il le faut ; il est, aux yeux de beaucoup, coupable de laisser-aller, de léthargie, en ce sens qu'il ne bouge même pas, qu'il ne va pas chercher l'information, qu'il reste là à attendre qu'elle lui tombe sur la tête ; coupable, surtout, de lâcheté journalistique, c'est-à-dire que non seulement il ne prend pas d'initiative, mais il sait et ne veut pas que le citoyen sache. Il est même arrivé au début des années 90 à un très haut responsable du pays de s'adresser une fois aux journalistes en ces termes : « Mais que voulez-vous donc ?! Que nous écrivions à votre place ? Que nous fassions votre travail ?... Allons donc !... Toutes les sources d'information sont à votre disposition, il ne tient qu'à vous de bouger un peu ». Par conséquent, aux yeux de tout le monde ou presque , le journaliste ne fait que du remplissage, juste pour justifier son salaire, juste pour dire au citoyen qu'il est là. Ce pamphlet de la part du citoyen, nous l'entendons tous les jours. Toutes les heures. Le Nous n'avons pas de presse en Tunisie'' est devenu un leitmotiv dans toutes les bouches et à chaque circonstance. Par conséquent, il serait mesquin et lâche de passer cette autre vérité sous silence : oui, il y a quelque chose qui ne va pas ; oui, l'information, chez nous, est malade. Mais elle est parfaitement curable et cela ne tient qu'à une petite décision salvatrice, celle de désigner le mal le vrai et de faire en sorte qu'il soit éradiqué une fois pour toutes. Le mal de l'information en Tunisie, on va l'illustrer ici par des exemples concrets, réels, véridiques. Souvenez-vous de l'affaire du sang contaminé qui a soulevé la France tout au début des années 90, et, partant, certains autres pays tel la Tunisie. Le signataire du présent article avait été dépêché par le journal Réalités à un hôpital de Tunis en vue de savoir si des cas avaient été relevés chez nous. Réponse d'un médecin responsable : « Mais en quoi est-ce qu'une telle affaire peut vous intéresser ?... Allez écrire sur l'Espérance Sportive de Tunis, il paraît qu'elle devra affronter le Club Africain dimanche prochain » (Sic). Le lendemain même, l'information avait été révélée à la Chaîne de Télévision TF1 qui s'était même offert le luxe de se rendre pour filmer ! chez une famille tunisienne ayant un enfant contaminé. Ici, il ne faut pas être très intelligent pour comprendre : ce ne pouvait pas être l'Etat qui avait tu l'information (il ne se serait pas gêné de le faire face à un média étranger), mais de petits responsables avaient décidé d'infantiliser la presse tunisienne pour lui préférer tout organe de presse étranger. C'est donc dans l'esprit même de nombre de responsables : il n'y a pas de presse en Tunisie, la vraie presse est ailleurs. On est presque tenté de dire : tant pis. Seulement voilà : à la place de la source d'information, c'est le citoyen, l'homme de la rue, qui l'a supplantée. Dans cette même affaire du sang contaminé, et alors que les pouvoirs publics avaient parlé d'une petite vingtaine de cas, le Tunisien s'était écrié : « Allons donc !... On a relevé au moins 14 mille cas ». C'est comme ça et pas autrement. Quand l'information est gardée jalousement dans les tiroirs, elle porte systématiquement sur la suspicion ; elle revêt, par tant de cachotteries inutiles et mesquines, un caractère à ce point mystérieux et énigmatique que d'aucuns, prompts à jouer les pyromanes, croient flairer dans son absence un scandale étouffé, un gâchis perpétré et tu, ou un désastre quelconque, alors qu'en réalité, et dans la majorité des cas, il ne s'agit que d'une information toute simple et même anodine. Il fut un temps où même la température du jour n'était pas portée telle quelle à la connaissance du citoyen comme si l'annonce d'un « 48 °c à l'ombre » pouvait susciter des émeutes et des grèves. Les sources d'information dans notre pays sont à ce point malades de silence qu'elles vous disent souvent : « Ah non, je regrette, mais je ne suis pas autorisé à vous communiquer l'information ». Et ça s'arrête là. Inutile d'insister. Dans l'exercice de son travail, le journaliste a la plupart du temps affaire à l'attaché de presse de tel ou tel organisme. Et c'est là que le ridicule tue !... C'est la chose la plus risible mais la moins compréhensible : ce même collègue, naguère journaliste et tout le temps en colère contre le silence des sources d'information, devient tout d'un coup à son tour receleur de l'information dès lors qu'il est nommé attaché de presse Allez comprendre quelque chose En fait, le problème est beaucoup plus grave encore. Le silence fait autour de l'information a exactement le même résultat parfois pire qu'une intox : tous deux sont porteurs d'un drame irréel, chimérique, fabriqué par des « On a dit que », « Il paraît que », etc. Souvenez-vous de l'affaire de la grippe aviaire. A peine éclatée en Europe et en Egypte, quelques journalistes tunisiens s'étaient ingéniés à aller chercher l'information en vue de savoir s'il y avait jamais eu un seul cas en Tunisie. Ils se sont entendus dire : « Ah non, je ne suis pas autorisé à vous communiquer l'information ». Et alors ?... Et alors, lorsque tous les éleveurs du pays sont tombés à genoux, l'Etat a pris le taureau par les cornes et les lui a arrachés. Mais c'était un peu tard. Au moment même où nous écrivions « Pas de grippe aviaire en Tunisie », le citoyen criait : « Il paraît qu'on a dénombré 2 mille cas en Tunisie » ; son voisin a parlé, pour mieux impressionner, de 4 mille cas ; sa mère, qui savait tout, a parlé de 50 mille cas ; et ainsi de suite. Résultat : le On a dit que'' a mis tous les éleveurs à genoux. Pourquoi ?... Parce que le très cher vétérinaire, au lieu de hurler lui-même sur tous les toits qu'il n'y avait pas un seul cas de grippe aviaire dans le pays, s'était amusé à déclarer : « Je ne suis pas autorisé à vous communiquer l'information ». Ce n'est qu'après coup que vétérinaires et responsables du ministère de l'Agriculture ont enfin convoqué les journalistes. Mais durant plus de six mois, le consommateur avait évité le poulet comme si c'était la lèpre. Il ne faut pas philosopher : la force de la rumeur, de la supputation et de la supposition est elle-même nourrie de l'absence de l'information à temps. A temps !! Parce que lorsque l'information est passée après coup, elle n'est point crédible aux yeux du citoyen, elle revêt tout simplement le caractère d'un démenti qui ne convainc plus personne. D'ailleurs, le journaliste tunisien est aux yeux de beaucoup un fieffé menteur. Voici, avant de finir ce papier, un autre cas très révélateur. Au mois de juin dernier, des voix se sont élevées à Tunis pour avancer la chose suivante : « Il paraît que la saison touristique est nulle cette année, un désastre ! ». Cette rumeur a frappé à la porte de Webmanagercenter et notre directeur nous a demandé de faire coûte que coûte la lumière sur la question. De la sorte, nous avons pu publier les chiffres du mois de juin, puis ceux du mois de juillet, et même jusqu'à la date du 20 août. Chiffres officiels à l'appui, nous apprenons déjà que la saison est bel et bien sauvée. Soit. Mais imaginez une seconde que l'attaché de presse du ministère du Tourisme se soit amusé à nous cacher les chiffres, ou à nous dire : « Désolé, mais je ne peux pas ». Si seulement cela était arrivé, nous serions allés, nous-mêmes, imaginer qu'effectivement la saison était perdue. Et c'est cela qu'il faudrait peut-être graver dans les esprits de toutes les sources d'information : taire l'information c'est ouvrir la voie à toutes sortes de rumeurs. En attendant, on voudrait leur demander : mais de quoi vous avez peur ? De quel droit vous tenez prisonnière l'information dans vos tiroirs ? De quel droit déniez-vous au citoyen le droit d'accéder à l'information ?... Car, à notre avis (sauf possible erreur de notre part), il n'y a qu'une seule information une et unique ! qui se doive d'être tenue secrète : c'est celle qui touche directement à la sécurité du territoire, à la souveraineté du pays, à l'invulnérabilité de l'ensemble de l'appareil de l'Etat. Un point et à la ligne. Rien, dans une démocratie, ne doit être tenu secret pour le citoyen. Rien. Sinon, c'est le citoyen qui devient capable de semer le trouble à l'appui de ses On a dit que. Lire aussi : - Information en Tunisie : un droit ou une faveur - Quel est votre chiffre d'affaires ? - Presse électronique : Faut-il légiférer ?