Entretien avec Mr Chakib NOUIRA président de l'IACE, président du directoire de la BIAT, homme d'affaire et responsable patronal.
- "..Prenez le cas des entreprises entrées sous la loi 95 des entreprises en difficultés, vous remarquerez que leurs problème sont en très grande partie dus à la mauvaise gestion des promoteurs.."
- "..La loi de 1995 qui était, il y a quelques années une nécessité est maintenant devenue un problème. Il y a des gens qui ont en effet appris à l'utiliser et qui organisent leurs faillites !.."
- "..Il y a du bon dans la loi de 1995 qui reste toujours valable et qui doit continuer à fonctionner. Il faut , cependant et aussi, se donner les moyens de sanctionner ceux qui organisent leurs insolvabilités.."
- "..Nous finançons encore, mal ou pas assez bien, tout ce qui est "nouvelles technologies" et innovation.."
Quelques 600 hommes d'affaires, chefs d'entreprises publiques et privées, jeunes entrepreneurs, banquiers, universitaires et responsables économiques de premier plan ont assisté cette année à la 17ème session des journées de l'entreprise, véritable événement économique incontournable qu'organise chaque fin d'année l'Institut Arabe des Chefs d'Entreprise (IACE) et conclave à ne pas rater du gotha de l'intelligentsia économique du pays qui s'y retrouve avec l'esprit du séminaire et la finalité du networking.
Le sujet : le financement de l'entreprise Un thème d'une actualité brûlante avec l'ombre de l'affaire Batam qui planait sur toutes les discussions qui ne l'évoquant qu'en filigrane, si ce n'est le président de l'IACE qui a finit par lui consacrer un bon quart d'heure à la clôture des travaux, le traitant de "cas d'école". Il est vrai que le cas de cette entreprise résume toute la problématique du financement de l'entreprise avec ses atouts et ses risques.
Tout au long de deux jours et la présence du ministre de l'industrie et de l'énergie et de celui des finances, entrepreneurs et banquiers ont discuté de leurs relations, des crédits long et court terme, des dettes et des crédits accrochés ainsi que des solutions à apporter pour que les banques demeurent aptes à les financer et que les entreprises restent solvables et que l'économie nationale continue à créer des entreprises pour garantir la stabilité sociale.
En marge de ces journées, nous avons rencontré Mr Chakib Nouira, président de l'IACE, mais aussi président du directoire de la BIAT, homme d'affaire et responsable patronal.
De votre multiple point de vue de responsable au patronat, de chef d'entreprise industrielle et premier responsable d'une des premières banques privées du pays, quelle est votre opinion sur cette question du financement de l'entreprise et de la capacité, ou non, du secteur bancaire à le faire ?
Le système bancaire tunisien a fait, honnêtement et objectivement, des miracles en matière de financement du développement. Avec des moyens très limités, il a prêté et parfois plus qu'il ne fallait. Je crois que l'effort doit être maintenant fait au niveau de l'entreprise et cela, essentiellement, par la transparence, l'amélioration du taux d'encadrement et une meilleure organisation de la gestion.
On peut évidement reprocher beaucoup de choses aux banques, comme au niveau des services où elles ont beaucoup de choses à améliorer. Mais en général les banques n'ont pas faillit à leur mission et s'il se trouve encore un chef d'entreprise qui n'a pas réussi à avoir un crédit, c'est généralement parce qu'il ne le méritait pas.
Le problème est un problème de gestion des entreprises. Prenez le cas des entreprises entrées sous la loi 95 des entreprises en difficultés, vous remarquerez que leurs problème sont en très grande partie dus à la mauvaise gestion des promoteurs. C'est pour cela qu'il est maintenant important de régler le problème judiciaire de la question de la reprise d'entreprises. Il n'y a pas de raison pour qu'une entreprise mal gérée ne puisse pas être revendue à quelqu'un qui la gèrerait mieux et en ferait une entreprise rentable.
Je connais une entreprise qui a été pendant 5 ans en difficulté dont une année fermée avec ses 180 employés renvoyés et les banques qui ne pouvaient rien faire. Le jour où elles ont pu revendre l'entreprise à un entrepreneur d'expérience, il ne lui a pas fallu pas plus de 6 mois pour rouvrir, recruter les 180 employés et commencer à exporter.
Voulez-vous insinuer par là que la loi de 1995 sur les entreprises en difficultés n'a plus sa raison d'être ?
Je vais plus loin. La loi de 1995 qui était, il y a quelques années une nécessité est maintenant devenue un problème. Il y a des gens qui ont en effet appris à l'utiliser et qui organisent leurs faillites !
Le taux de réussite de sauvetage des entreprise qu'on évoque généralement chez SOS entreprises et qui dépasse les 50 % est quant même éloquent !
Je crois qu'il faut arrêter de faire en sorte que les bons paient pour les mauvais. Il y a du bon dans la loi de 1995 qui reste toujours valable et qui doit continuer à fonctionner. Il faut, cependant et aussi, se donner les moyens de sanctionner ceux qui organisent leurs insolvabilités, de pouvoir arrêter le processus et de vendre l'entreprise. On ne demande pas que ce soit à nous de le faire. Il y a pour cela des juges et des tribunaux, mais qui doivent être dotés de ces moyens, pour ne pas que les bons paient pour les mauvais et pour que celui qui essaie d'utiliser cette loi à mauvais escient, soit puni.
Pensez-vous que le secteur bancaire reste encore capable de financer l'entreprise et le développement, malgré les 19 % de crédits accrochés qu'a évoqué le premier ministre à l'ouverture des travaux de vos journées ?
Il faut d'abord savoir que ce taux de 19 % est très différencié. C'est une moyenne pour tout le secteur bancaire. Dedans, il y en a celles qui ont 25 % et celles qui n'en sont qu'à 10 %. Le problème se pose donc différemment d'une banque à l'autre, d'où la réponse à votre question qu'il y en a qui peuvent gérer cette situation avec les provisions et y en qui ne peuvent pas. Il faudra donc trouver les solutions, sans généraliser.
Et pour les entreprises, que pensez-vous qu'elles doivent faire pour rester viable et pour que l'économie puisse encore créer une autre génération d'entreprises et lorsqu'on voit, comme l'a signalé un de vos conférenciers, que les banques restent méfiantes à l'égard des jeunes entrepreneurs ?
Cette question, vous me l'auriez posée il y a 25 ans, l'équation aurait été la même. Le développement ne s'est pourtant pas arrêté en Tunisie. Les banques continueront à financer le développement et dans 30 ans, vous trouverez encore des jeunes pour dire qu'ils n'ont pas trouvé financement à leurs projets.
La Tunisie est certes le pays, parmi ceux à développement intermédiaire, qui finance le mieux son économie et son investissement Il est cependant vrai qu'il y a des choses à corriger et à revoir. Nous finançons encore, mal ou pas assez bien, tout ce qui est "nouvelles technologies" et innovation. Nous n'avons pas les instruments nécessaires et le savoir faire pour. IL faut pour cela qu'on fasse des progrès, qu'on recherche des solutions et qu'on forme nos cadres. Ceci dit, dans 30 ans le problème du financement de l'entreprise et du développement sera encore d'actualité.
Lorsqu'on parle financement bancaire et crédits accrochés, on reproche toujours aux banques de continuer à accorder des crédits à des entreprises qu'elles savent en difficultés et de les avoir, pour ainsi dire, amenées à devenir lourdement endettées ou en cessation de paiement !
Là vous prenez le problème par le mauvais bout. Le pays souffre d'un manque de bons projets. Lorsqu'elles voient donc une lueur d'espoir de redressement et de réussite de ces entreprises, les banques le financent. On leurs auraient fortement reprochées le contraire. Il faut cependant, comme avoir les moyens de continuer, avoir la possibilité d'arrêter, et cela essentiellement par le développement de la reprise d'entreprises, de faire le transfert et donner une nouvelle chance à l'entreprise, à ses employés et à ces financiers de recouvrer leurs crédits.