Il fut un temps (années 70, 80 et même 90) où le Tunisien, dans tous les établissements touristiques que ce soient, était mal perçu ; malvenu, aucunement respecté, il était systématiquement rejeté ou, au mieux des cas, mal accueilli et très mal servi, à la faveur de l'homme blond aux yeux bleus devant lequel hôteliers, restaurateurs et serveurs se prosternaient jusque par terre avec un très large sourire aux lèvres. Jusqu'à la veille des années 1990, c'était l'apogée du tourisme un peu partout dans le monde. Et les Tunisiens comprenaient malgré tout ! que le tourisme a toujours été l'un des secteurs clés de l'économie nationale ; par conséquent, ils admettaient tant bien que mal cette exclusion sur leur propre sol, ils souffraient cette discrimination sans moufter, considérant que l'intérêt national devrait l'emporter sur toute autre considération. Puis il y eut des secousses dans le monde : la guerre du Golfe (invasion du Koweït, 1991), la guerre contre l'Irak (2003) et, pour couronner le tout, la montée de l'islamisme qui les trois facteurs réunis ont failli mettre le monde arabe et le Maghreb en quarantaine. Depuis, le tourisme, côté arabe et maghrébin, commençait à battre de l'aile. Mais depuis, un semblant d'intérêt pour le tourisme local (ou intérieur) perla à l'horizon. Les Tunisiens ont peu à peu eu l'impression mensongère d'être vraiment chez eux, qu'ils étaient enfin perçus comme des clients à même de pouvoir profiter de leurs vacances à l'exemple de tous les autres sur terre. Et comme si c'était peu de chose, voilà que depuis une année mois pour mois, explosa cette inextricable crise financière qui, sur son passage, frappa au premier chef le tourisme dans le monde. Tous les Etats (touristiques) se sont montrés sceptiques, inquiets ou carrément pessimistes face à cette saison 2009 dont, jusqu'à ce jour, personne ne saurait dire avec exactitude si elle irait à la catastrophe ou pourrait vraiment l'échapper. Du coup, tous les Etats se sont pris à faire les yeux doux au tourisme intérieur, estimant qu'au moins cette carte pourrait sauver quelque peu la mise. C'est très curieux de le constater, mais seuls visiblement les pouvoirs publics ont pris conscience et acte de la crise, s'ingéniant, pour cela, à tout prévoir et mettre en uvre afin d'amortir au minimum possible l'impact d'une saison floue et peu prometteuse. Eux seuls, donc. Mais pas les hôteliers et les restaurateurs tunisiens qui ne semblent pas le moins du monde conscients de ce qui se passe ailleurs et même chez eux, ou qui feignent de l'ignorer, comme s'ils étaient royalement à l'abri des aléas menaçant le secteur. Eh alors, voilà comment se comporte le tourisme intérieur : toujours cette même indifférence en direction du Tunisien. Durant la deuxième semaine de ce mois de juillet, dans un grand complexe touristique ayant pignon sur rue à Hammamet Nord, quatre individus se contentent, vu les prix carrément rédhibitoires, de commander quatre briks. Sur la carte est noté, entre autres : «Brik à l'uf au thon ou aux chevrettes : 3,500 dinars». Une vingtaine de minutes plus tard, les briks sont servis. Le malheureux brik se présente ainsi : la moitié d'une feuille de malsouka farcie d'une espèce de purée de pommes de terre et de persil. C'est tout. Pas d'uf. Pas le moindre parfum de thon (encore moins la trace d'une malheureuse petite chevrette). Pour 3,500 dinars, Messieurs !! Ça s'appelle tourisme intérieur. Plus loin, sur la plage, un cadre supérieur Tunisien, DGA d'une filière relevant d'une multinationale. Il est avec femme et enfants en bas âge. Ils vont se mettre sous un parasol lorsqu'un jeune homme fonce sur eux : «Ho Ho !!, c'est pas pour vous !! Sortez de là !!». La discussion menace un moment de dégénérer, puis le chef arrive : «D'accord, d'accord, restez ; mais c'est à 10 dinars le parasol». Renseignement pris, le parasol est loué à 5,500 dinars au touriste étranger, mais à 10 dinars quand il s'agit d'un Tunisien qui sait faire prévaloir ses droits dans son propre pays. Ça s'appelle tourisme intérieur. Le soir même, le même cadre et sa petite famille reviennent au fameux complexe touristique. Ils commandent quatre malheureuses limonades (ou citronnades comme on dit). A combien ?... A 4 dinars le verre. Le pauvre client s'est délesté de 16 dinars pour siroter une limonade. Et ça s'appelle tourisme intérieur. Et avec tout ça, à la place d'un petit sourire ou le moindre souhait de bienvenue, c'est l'arrogance, et l'indifférence dans les yeux du serveur. Eh alors ?... Et alors, rien. Ça s'appelle toujours tourisme intérieur