Il était une fois à Douz, dans le Sud tunisien, à près de 560 km de Tunis, un petit chamelier du nom de Kâmil (non pas : Kamel, mais Kâmil, dans le sens d'intégral ou complet) Ben Salem. A Douz, qu'on appelle à juste titre La Porte du Sahara, il n'y a que trois activités possibles : l'agriculture (c'est-à-dire essentiellement les palmiers et les dattes), l'artisanat et le tourisme qui, en dehors des hôtels, s'appuie principalement sur les chameaux qui effectuent des randonnées périodiques au tréfonds du Sahara, au grand bonheur des touristes en quête d'exotisme, d'aventures et de désert. On aura failli oublier les agences de voyages qui, à Douz, constituent le moteur essentiel du tourisme saharien. Sans elles, le chamelier n'est rien ; il ne peut à lui seul se procurer sa propre clientèle, mais doit être au service de telle ou telle agence qui, elle, l'appelle et lui confie ses touristes à promener à dos de chameau sur les dunes de sable. A Douz, l'on ne se dit pas vraiment chamelier si l'on ne dispose pas d'au moins trois ou quatre chameaux. C'est que l'activité n'est pas vraiment rentable, seule l'agence en tire le plus gros du bénéfice. D'ailleurs, à La Porte du Sahara et régions alentour, on compte quelque 1 500 têtes de chameaux répartis sur un peu plus de 200 chameliers. La chance de Kâmil est de disposer de onze bêtes qui, au gré des saisons, le font vivre tant bien que mal. En cette année 2000, arrive au Sud tunisien, entre milliers de touristes, une jeune Suissesse dont le rêve était de pouvoir monter un jour sur le dos d'un chameau. Le hasard des jours veut que son chamelier direct soit Kâmil Ben Salem, alors âgé de 20 ans. Dans ce désert à perte de vue, lors d'une randonnée qui semble sans fin, la jeune Suissesse, en même temps qu'elle tombe amoureuse du Sahara de Douz, s'éprend de vrai amour de Kâmil. Il faut dire qu'un jeune noiraud dans les bras d'une blonde aux yeux bleus, ça fait un bien joli couple, exotique en soi. Les deux jeunes convolent en justes noces à Douz. Mieux : la jeune mariée trouve l'activité si sympathique qu'elle crée sa propre agence de voyages, à Douz même. Pour la bonne marche de son activité, elle doit elle-même se rendre chez elle pour explorer en même temps les marchés suisse et allemand. Ce n'est pas une question de quelques jours seulement, par conséquent son mari ne peut rester seul à Douz. Et voilà de but en blanc le chamelier de Douz installé à Zurich, principale ville suissesse après Berne et Genève. Alors que son épouse crée une deuxième agence de voyages dans sa ville natale, lui, Kâmil, au lieu de s'européaniser comme l'auraient fait des centaines de Tunisiens, ne trouve pas mieux que de continuer à faire le chamelier. Mais où ?... Dans un village à quelques kilomètres de Zurich, il jette son dévolu sur un parc très peu exploité. Là, il ramène ses onze chameaux. Et là, il organise des randonnées à dos de chameau, mais sur un sable qui aurait paru tel un tapis rouge pour les chameaux de Douz. Mais dans l'esprit de Kâmil, ces petites randonnées sans réel dépaysement ne sont rien d'autre qu'un avant-goût pour les Suisses/Allemands qui, inévitablement, seraient tentés un jour de faire le voyage jusqu'à La Porte du Sahara tunisien. Aujourd'hui, à l'âge de 29 ans, Kâmil Ben Salem voit encore plus grand. Il envisage d'organiser, à Zurich même, le 1er championnat international de course des Méharis et auquel il compte faire participer des candidats de France, d'Allemagne, d'Autriche, d'Espagne, de Suisse, mais aussi du Qatar, des Emirats Arabes Unis, de Libye, d'Algérie et, bien entendu, de Tunisie. A travers cette manifestation qui, probablement, aura lieu en juin 2010, Kâmil ambitionne de promouvoir le produit saharien tunisien, allant de l'artisanat (chèche, tenue de Sahara, etc.) jusqu'à la gastronomie exhumée du fin fond du terroir saharien. Retournement de situation : aujourd'hui, le couple Ben Salem habite plutôt Zurich, mais dispose d'un pied-à-terre à Douz. Et ce qui était au départ un petit conte de fées est devenu du business à dos de chameaux.