La construction de la Tunisie indépendante s'est accompagnée d'une sacralisation du droit à l'éducation, expression d'un consensus national et d'une priorité jamais discutée. Cet élan, soutenu aux limites des capacités de financement de l'Etat et de l'économie, a irrigué, un demi siècle durant, le comportement éducatif de la puissance publique, des familles tunisiennes pour qui le diplôme garantissait, à leurs enfants, l'accès à l'emploi et des différents acteurs politiques et sociaux du pays. Progressivement, les flux des apprenants, subis, pendant des décennies, plutôt que gérés, ont mis à nu une défaillance de régulation, relevé l'incapacité du système à capter les signaux annonciateurs des mutations du marché de l'emploi, posé le problème des réajustements des filières, condition sine qua non, des débouchés professionnels ultérieurs et engendré, de nos jours, le phénomène de la massification de l'enseignement secondaire, qui est en train de se transmettre à l'université, renforcée par la large diffusion géographique des établissements de l'enseignement supérieur en lettres, sciences humaines et gestion. Aujourd'hui, le déficit en compétences, clefs de base des jeunes apprenants tunisiens, conséquence logique, affirment certains analystes, des choix volontaristes d'après l'indépendance, constitue l'un des principaux handicaps à l'insertion dans le circuit économique national, interroge notre modèle éducationnel et rappelle l'urgence d'une réadaptation rapide au niveau de la configuration des filières de formation. Où sont les carences Les diplômés de l'enseignement supérieur, insistent la plupart des professeurs, ont de graves lacunes linguistiques, que ce soit en arabe, en français ou dans les autres langues. Plus de 90% des candidats au baccalauréat, rappellent des statistiques, n'arrivent pas à obtenir la moyenne en langue aussi bien en anglais qu'en arabe ou en français. La tendance sur les trois dernières années confirme encore davantage ce diagnostic. Les comparaisons internationales interpellent cette faiblesse dans les acquis de base des jeunes apprenants tunisiens. Les tests réalisés par l'OCDE dont la teneur touchait la qualité des acquis des compétences nécessaires pour l'économie basée sur la connaissance (culture mathématique, raisonnement logique, culture scientifique) et auxquels la Tunisie a participé en 2003 et 2006, à travers un large échantillon d'élèves de 15 ans, situent nos jeunes apprenants très loin derrière des pays similaires et concurrents. Près des 2/3, conclut le rapport de la Consultation Nationale sur l'Emploi, sont plus près de l'illettrisme que des requis d'un emploi dans une économie mondialisée. Sur un autre plan, depuis des décennies, aucun établissement supérieur tunisien n'est classé dans le hit-parade des 500 meilleures universités du monde. Suprême injure à un pays qui tire sa fierté d'avoir misé, dès l'indépendance, sur l'éducation et la qualité de ses ressources humaines. Croyant diversifier les filières et coller aux besoins d'un marché d'emploi en pleine mutation, les instituts d'enseignement supérieur d'économie et de gestion ont multiplié les étiquettes des diplômes sans normes ni nomenclature, ce qui a nui à la lisibilité du cursus estudiantin, au contenu de la formation et aux aptitudes du diplômé. La consécration universitaire perd, progressivement, sa fonction de signal prédicteur des compétences maîtrisées. Se reprendre au plus vite «Chaque université doit établir des relations au niveau international à même de lui permettre d'assurer des formations de qualité, utilisant des pédagogies innovantes, ouvertes sur l'international, de développer les co-diplomations et d'une façon générale d'améliorer le positionnement et la notoriété du système universitaire tunisien», recommande l'un des auteurs du rapport de la Consultation Nationale sur l'Emploi, qui met l'accent sur l'importance des formations certifiantes, selon les normes internationales des professions, la mise en place, dans les établissements scolaires d'une organisation administrative et pédagogique décentralisée de manière à réintroduire la notion de redevabilité concernant la qualité des acquis des élèves et le rôle des universités multidisciplinaires dans le redéploiement des formations et le parcours académique des étudiants. Dans notre système éducatif, la défaillance dans la régulation des flux des apprenants commence à apparaître à partir de la fin du cycle de l'enseignement de base puisque les meilleurs sont orientés, automatiquement, vers le cursus du secondaire, sans que l'alternative d'un choix volontaire, parce que bien informé, vers la formation professionnelle, ne soit envisagée. Là, il s'agit d'entreprendre la valorisation de la réforme des structures de l'A.T.F.P, appelée à accompagner la politique de mise à niveau de l'économie tunisienne et de son ouverture sur le monde, à piloter les besoins en compétence du monde entrepreneurial et à améliorer la compétitivité des ressources humaines du pays dans un contexte mondial où l'attractivité des sites, au sud de la méditerranée, dépend, en grande partie, des niveaux les plus élevés de la qualification.