Le pire ne s'est pas produit en 2009. La dépression a été jugulée. Le spectre de sa grande aînée de 1929 a été conjuré. Au final, on aura eu plus de peur que de mal. Il y a bien eu cette hécatombe boursière, avec la carbonisation de près de la moitié de la capitalisation sur les places internationales. En revanche, le repli économique, du fait du retour en force de l'Etat paré de ses attributs d'intervention, notamment via le Budget, a été amorti. Les résultats des entreprises ont subi un «haircut» mais ne sont pas tombés à bas. A peine 20% des entreprises ont vu leur rating déclassé et le niveau général des bénéfices est resté supérieur à ceux de 2003 et 2004, affirment les experts. Les programmes de relance ont amorcé un espoir de reprise et l'on repart à spéculer sur le retour de la croissance. Elle serait, en toute vraisemblance, moins vigoureuse qu'avant. En effet, le redéploiement industriel table sur l'innovation technologique et le changement de modèle économique, ce qui doit prendre un certain temps. Outre que les économies avancées sont sevrées de la consommation à crédit, ce qui augure d'une demande intérieure mesurée. La croisade contre les bonus des traders et les paradis fiscaux, a marqué des points mais parviendra-t-elle à «moraliser» le capitalisme ? A ce jour, l'on n'a pas encore le sentiment qu'il y a eu refondation du système, avec ce qu'on attendait de régulation, de réglementation et de supervision... Par conséquent, les pays en développement n'ont d'autre choix que de rester sur leurs gardes. Le forcing du G20 qui s'est auto-intronisé directoire mondial prouve qu'il y a encore un effort à faire en matière de gouvernance mondiale, équitable. Que peut-on espérer dans ces conditions de l'année 2010 ? Peut-on encore penser jeter les bases d'un nouvel ordre économique mondial équitable, respectueux des consignes du développement durable. Peut-on instaurer une éthique mondiale ? On revient de loin On a ouvert l'année 2009 sur un très large sentiment de peur panique. La faillite de Lehmann Brothers était trop vive dans les esprits. Les bourses avaient plongé de près de moitié et le «looping» des cours était rapide et brutal. Les groupes industriels les plus solides réduisaient la voilure. On voyait GM (General Motors), symbole de la puissance industrielle américaine, vaciller. Toutes les options étaient ouvertes et surtout les plus noires. Le grand soir n'était plus à écarter après que la crise financière eût contaminé la sphère réelle. Et il y avait les montants mirobolants des sinistres, à nous donner le tournis. Un quotidien français avançait le chiffre de 24.000 milliards de dollars de moins-value boursière. Et on a fait connaissance avec un jargon nouveau, assommant. On a découvert les créances toxiques, le risque systémique, la perspective macro-prudentielle et le «credit crunch», le fameux assèchement du crédit. Les banques devenues hautement «risk adverses» refusant de prêter. La première réunion du G20 qui s'est tenue à Washington en novembre 2008 ne comportait aucune résolution hormis la date du 2 novembre pour le sommet de Londres, et en temps de crise comme le temps paraît long et cette perspective s'étirait à l'infini. La nouvelle administration Obama était encore tout timorée. L'Europe ne parvenait pas à parler d'une seule voix afin de coordonner les plans de sauvetage et de relance. L'Asie, faiblement sinistrée, faisait le dos rond, le FMI annonçait une insuffisance de liquidités. On nageait dans l'expectative. Le come-back de l'Etat. Le retour à l'économie mixte ? Convalescence, thérapie, la réhabilitation de l'Etat, régulation un début en Europe Dans cet univers maussade, il y avait des voix, libérales puristes, qui préconisaient l'attentisme. Elles se réfugiaient derrière la morale de Schumpeter, qui considère que le pire a du bon avec la «destruction créatrice». C'est-à-dire qu'il fallait assister impassibles à cette descente aux enfers. Le système n'ayant pas su se mettre en intelligence avec le marché était appelé à disparaître et sera remplacé par un autre plus performant. Et en face, il y avait les autres. Ceux qui disaient que pour sauver les meubles il fallait remettre l'Etat en scelle avec son pouvoir d'intervention et son instrument passe par le Budget. En effet, les Etats se sont bien impliqués dans l'arène. Les prêts bancaires ont été garantis, de même que les dépôts des particuliers. La pompe du crédit fut réamorcée. Les mécanismes budgétaires ont été réactivés et les plans de relance ont été vite mis en place. Et le duel entre tenants du laisser faire et partisans de l'Etat interventionniste a vite trouvé son dénouement. Mais malgré tout, la polémique n'a pas été définitivement tranchée. Fallait-il indemniser les chômeurs comme le recommandaient l'école américaine ou faire repartir les grands chantiers, pourvoyeurs de revenus et donc générateurs de demande et de croissance comme le veut l'école européenne ? On connaît la suite, mais n'empêche qu'en pleine tempête, il a fallu bien se battre contre les fétichistes du «tout marché» qui ont fini par jeter l'éponge. L'économie de marché et le capitalisme sont sortis sains et saufs. Le monde a pris ses distances avec la globalisation du marché après la preuve irréfutable de son impuissance à s'autoréguler. Sommes-nous pour autant tirés d'affaire ? Les médications du G20 En pleine bourrasque, à Londres le 2 avril, le G20 a pu s'accorder sur un plan de sauvetage en entérinant le retour de l'Etat à ses fonctions fondamentales d'autorité de supervision et de régulation, par la socialisation des pertes via le déficit budgétaire. Ce contexte a facilité la réhabilitation du FMI et l'accroissement de ses ressources. Que l'on se souvienne que le pompier des Etats se trouvait lui-même en mauvaise posture. Après avoir volé au secours de certains Etats dont quelques Etats européens qui étaient au bord du risque de défaut, ses caisses se vidaient. Il a fallu le renflouer à son tour. Le G8 élargi aux BRIC a fait front. Dans le même temps, un autre signal fort est venu des entreprises. Leurs pertes n'étaient pas aussi graves qu'on le redoutait. Une entreprise sur cinq a été éprouvée, en moyenne mondiale. Les autres ont plus ou moins bien résisté, cédant parfois du terrain, sans rétrograder de manière significative. La médication du G20 et l'injection des fonds de sauvetage, l'activation des mécanismes de financement du FMI, tout cela combiné a fait que la crise a pu être contenue. Dès le mois de juin, les banques avaient repris des couleurs et on a vu s'opérer deux mouvements simultanés. Les groupes, face à la crise, ont reformaté leur modèle économique et ont préféré tailler dans les métiers périphériques pour se concentrer sur leurs métiers de base. Une dynamique de fusion-absorption était bien visible dès le mois de juin. On cédait le «collatéral» et on intégrait le «sous-jacent». Reprise et développement durable L'entreprise a su trouver le modèle de redémarrage mais les industries sont en mutation. Les grandes orientations de l'industrie s'inscrivent en dynamique de rupture car elles intègrent les contraintes du développement durable. C'est notamment le cas de l'industrie automobile qui mise sur les moteurs propres. C'est un véritable travail de renaissance qui demandera un certain temps avant de diffuser. C'est pareil pour les choix d'orientation énergétique. A l'évidence ce sont des choix porteurs qui porteront leurs fruits à terme mais qui ne feront pas de 2010 une année fastueuse. On a marqué des points de ci de là mais l'ensemble manque de cohérence et peut-être même de bonne volonté. On entend dire que le professionnalisme et les bonnes pratiques préservent des erreurs. Pas seulement, une dose de réglementation est nécessaire. Il faut légiférer. Mais toute la difficulté est de coordonner et uniformiser pour ne pas reproduire une concurrence par la réglementation. On a bien vu l'Europe finir par s'accorder sur les bonus des traders et les parachutes dorés des dirigeants et s'acheminer vers une législation uniforme pour les fonds spéculatifs et peut-être aboutira-t-elle à une coordination mondiale pour endiguer les paradis fiscaux. Les moments de tourmente ? Cet appel est pressant sachant qu'en cette année on a célébré le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Il y a vingt ans, en novembre 1989, s'écroulait la dernière digue. Le collectivisme rendait les armes et se rangeait dans le musée de l'histoire. Le libéralisme triomphait. Vingt ans après, on connaît sa part de vérité. Le marché sans l'Etat c'est comme la science sans conscience, qui est ruine de l'âme. Et les quelques réfractaires, asservis au dogme libéral, qu'ils méditent les déboires de Dubaï et de l'effet de levier de l'endettement. Il y a de quoi revenir de bien des illusions. «Che sara» ? Est-ce qu'on a plus de visibilité à présent que 2009 s'achève ? Mystère ! Il est d'usage que chaque année se défausse sur la suivante. Le G20, dans son remake de Pittsburgh au mois de septembre, promet le retour à la croissance pour le milieu de 2010. Peut-être sera-t-elle au rendez-vous et il ne sert à rien de jouer aux Cassandre. Mais on aurait voulu gagner sur les deux tableaux. On aurait aimé avoir la croissance et l'éthique. Le coup de force du G20 comme directoire mondial ne laisse pas présager d'un ordre économique dans le sens souhaité par les pays en développement. Avec les BRIC, le G20 n'est qu'un G8 plus élargi, nombriliste et sourd à la solidarité. Il n'y a qu'à voir comment il a paralysé l'ONU à Copenhague pour faire passer une motion qui fait fi d'une proposition de mutualisation des efforts de parade face au réchauffement climatique. Bénéfice pour soi et les pertes pour tous, ne peut pas tenir lieu de substitut à la charte des nations unies. Le G 20 c'est peut être 80% de la population du monde et autant du PIB mondial mais le «résiduel», c'est-à-dire les pays en développement n'en ont pas moins voix au chapitre s'ils veulent instaurer une gouvernance mondiale. Et de ce point de vue, on sait qu'il leur faudra encore se battre en 2010. Et ce ne sera pas une année de farniente, pour eux. Il faudra aller une fois encore au charbon. Bonne et heureuse année 2010, à nos lecteurs et à nos annonceurs, pour leur confiance et leur fidélité.