Les barrières législatives et réglementaires ? «Elles tomberont progressivement avec la pratique lorsque les chefs d'entreprises verront l'utilité d'un Maghreb économique», assure-t-il citant Habib Ben Yahia, secrétaire général de l'UMA (Union du Maghreb arabe) qui a toujours maintenu que le Maghreb se fera lorsque les Etats y trouveront un intérêt commun. Ceci étant, quoi de mieux que 2% de croissance par an comme incitation pour l'édification économique maghrébine ? Dhafer Saïdane est optimiste. «Les chefs d'entreprise, les banquiers construiront de manière naturelle cette intégration économique, cette union se fera, peut-être, en décalage avec l'arrimage politique, mais ça ne peut en aucun cas constituer une entrave, nous pouvons dissocier les deux». Les pays maghrébins portent-ils tous le même intérêt pour la construction du Maghreb économique ? A voir le Maroc bénéficiant d'un Statut avancé avec l'Europe, bien implanté en Afrique, ayant conclu, également, un accord de libre-échange avec les USA, on a du mal à croire le besoin de ce pays à être une partie prenante dans un Maghreb économiquement intégré. «Cette vision est court thermique, réplique M. Saïdane, l'arrimage du Maroc aux Etats-Unis, à l'Europe et à l'Afrique peut être avantageux sauf que dans cette situation, il coupe le cordon ombilical avec son espace naturel qui est le Maghreb». Le politique ou les intérêts unilatéraux au niveau de certains pays maghrébins ne pourraient en aucun cas -ou du moins ne devraient pas- freiner les avancées économiques. Ce qui est fondamental, c'est la mise en place d'institutions qui vont permettre de cimenter l'édification d'un Maghreb économique. Elles se présenteraient sous formes d'organisations qui auront pour rôle de réguler les flux d'investissements et permettront aux différents opérateurs économiques de la région d'évoluer vers une stratégie 'global player'' régional pour donner plus de visibilité aux investisseurs étrangers. «Si on s'adresse à ces investisseurs en rangs dispersés, ils ne s'intéresseront pas à nous car ce qu'ils ambitionnent, c'est d'avoir une vision globale sur le marché et du potentiel qu'il offre. Ils ont besoins d'être aiguillés sur les opportunités qui existent au niveau de ces marchés, de vis-à-vis qui les éclaire sur les offres et les potentiels au niveau de chaque pays. L'idée est de mettre en place des instances fédératrices qui aident les partenaires étrangers à s'intégrer dans le marché maghrébin». Pour ce, le rôle des banques en tant que moteur est évidemment incontournable et celui également des chefs d'entreprise et des managers en tant qu'animateurs de l'économie. «L'intégration financière maghrébine est indispensable pour beaucoup de raisons, d'abord pour constituer cette union maghrébine arabe qu'on n'arrive pas à réaliser depuis plus de 20 ans et pour aider les chefs d'entreprise à avancer dans l'intégration parce que ça sera à eux, soutenus par les banquiers, que se fera le Maghreb. Cette équation UMA repose sur deux variables fondamentales, deux effets de levier fondamentaux, financier et économique ». Ce qui est important, c'est une démarche cohérente, pour qu'il n'y ait pas de doublons, pour qu'il n'y ait pas 2, 3 ou 4 places financières régionales qui offrent les mêmes produits et assurent les mêmes métiers. «Il ne faut pas qu'il y ait une Casa, place financière et une Tunis, place financière sur les mêmes segments, ça crée de l'embarras, de l'ambiguïté et rend confuses les démarches auprès des partenaires étrangers. Les conséquences sont néfastes sur l'ensemble de la région, car le manque de visibilité décourage les investisseurs». D'où l'importance de structures transnationales, transversales pour réguler, introduire de la cohérence dans la démarche, dans l'élaboration des stratégies entrepreneuriales, financières et des politiques économiques ». Il est temps, estime M. Saïdane, d'arrêter cette concurrence contreproductive entre des pays naturellement très proches, pareilles pratiques sont contradictoires avec les économies d'échelle. Le secteur automobile en est un parfait exemple, les équipementiers de Tunis, pourraient fournir des chaînes de fabrication au Maroc. Est-il temps de parler de céder une partie de souveraineté au niveau national dans l'intérêt d'un Grand Maghreb économique ? « Concernant la souveraineté, nous en sommes très loin, nous sommes au tout début de l'élaboration d'un tissu entrepreneurial, la question de la souveraineté se pose lorsque nous parlons de monnaie unique et là il faut qu'il y ait une renonciation d'une part de la souveraineté. Le Maghreb est au stade de repérage des opportunités pour les chefs d'entreprise et de la création d'une cohérence au niveau des stratégies économiques de la région : Il faudrait arriver à dire aux investisseurs étrangers, 'vous voulez investir dans nos pays, nous vous offrons un bouquet d'opportunités pas une seule'', l'impact sera positif sur l'ensemble des pays maghrébins, la stratégie du 'global player'' sera avantageuse pour tous». Les chefs d'entreprise devront pouvoir transcender les barrières réglementaires et politiques parce que, pour eux, il est tout à fait naturel de travailler avec des partenaires dans les pays voisins. «Prenez l'exemple de la Libye, argumente Dhafer Saïdane, il y existe un potentiel énorme en matière de formation financière. Qui pourrait l'assurer ? Ce sont des Tunisiens, des Marocains qui ont de l'expérience dans la gestion bancaire et l'animation des réseaux». L'intégration financière est en train de se réaliser dans les faits, et ce sont les partenaires du Nord qui poussent ceux du Sud à coopérer ensemble, ce qui frise l'absurdité. En attendant, il paraîtrait que les ministres de Finances maghrébins se sont mis d'accord lors de leur dernière réunion pour la mettre réellement sur les rails. Toutefois, il existe un problème au niveau du montage de cette banque, indique M. Saïdane. «Elle aurait été créée par des privés avec le soutien des pouvoirs publics, cette banque aurait démarré depuis belle lurette. Dans nos pays tout ce qui représente l'émanation des Etats prend du temps, un temps naturel, biologique, car il faut calculer, négocier et discuter».