Les négociations entre le gouvernement et la coordination d'El Kamour ont repris. C'est l'information capitale ayant marqué l'actualité nationale, au-delà de la situation épidémique et des querelles entre les députés au sein du Parlement. Le démarrage des négociations est un pas important tenant compte de la situation de blocage au Sud tunisien et ses répercussions aussi bien sur le plan social qu'économique, sans omettre les enjeux politiques que cela pourrait avoir dans un avenir très proche. Les Tunisiens ayant suivi de près le dossier d'El Kamour savent pertinemment que la situation au gouvernorat de Tataouine est surréaliste. Tout a commencé en mars 2017 avec les protestations sociales des jeunes de la région. Des revendications dans la lignée des slogans de la révolution, réclamant le développement régional, l'emploi et le droit à une vie digne et décente. Toutefois, la situation a dégénéré. Les jeunes sit-inneurs ont pris d'assaut la vanne de pompage du pétrole, bloquant ainsi la production. Les évènements se sont succédé sous haute tension et les affrontements avec les forces de l'ordre ont abouti au décès d'un jeune protestataire, Anouar Sakrafi. Un point de non-retour a été atteint. Sous la pression de la centrale syndicale, un accord a été signé le 16 juin 2017 par le gouvernement et le père du jeune homme décédé sous les applaudissements des protestataires. Un détail insignifiant pour certains, mais qui est de taille dans la mesure où le gouvernement a accepté de signer un accord important avec une partie non officielle, confirmant ainsi la faiblesse d'un Etat en détresse.
Cet accord du 16 juin 2017 dispose le recrutement d'un membre de la famille d'Anouar Sakrafi et d'une autre personne relevant de la famille du blessé Abdallah Aouar, ainsi que le recrutement de 1500 personnes au sein des sociétés pétrolières. Il prévoit, aussi, l'octroi d'une prime de recherche d'emploi de 500 dinars, versée aux personnes recrutées dans les sociétés pétrolières à partir de septembre, en attendant leur adhésion, ainsi qu'un budget de 80 millions de dinars alloué au fonds de développement. Outre l'intégration de 370 agents dans les sociétés pétrolières et de l'environnement à la fin de leur contrat CDD, le recrutement de 1500 agents dans la société de l'environnement en juin 2017, le recrutement de 1000 autres en janvier 2018, puis le recrutement de 500 personnes en 2019. Cerise sur le gâteau, le gouvernement s'engage à ne pas intenter de procès contre les sit-inneurs.
C'est ainsi que sont présentés les termes de cet accord invraisemblable, engageant le gouvernement dans des promesses irréalisables, qu'il n'a jamais réussi à honorer. Mais face au non-aboutissement de cet accord, les sit-inneurs d'El Kamour ont trouvé la solution miracle : la fermeture de la vanne et le blocage de la production, sans que l'Etat ne puisse réagir en dépit des pertes enregistrées et des réactions des sociétés pétrolières dans la région. A Tataouine, c'est bien la coordination d'El Kamour qui fait la loi, indépendamment de l'intérêt de l'Etat et des répercussions économiques d'une telle situation sur l'économie nationale, déjà en piteux état.
Aujourd'hui, le gouvernement Mechichi à peine installé, se penche sur ce dossier épineux. Une série de réunions a débuté au siège du gouvernorat de Tataouine avec les représentants de la coordination d'El Kamour pour parvenir à une solution à l'impasse actuelle. Les sit-inneurs tiennent bon à leurs revendications, à savoir la mise en application des termes de l'accord de 2017, aussi difficiles soient-ils. Les premiers échos indiquent le début d'un déblocage de la situation. D'ailleurs, plusieurs analystes estiment que le début d'un dialogue officiel est déjà une avancée en soi.
Force est de constater que le gouvernement de Hichem Mechichi voudrait marquer des points à travers la résolution de la situation d'El Kamour, c'est dire que ce dossier a été abordé par le président de la République, Kaïs Saïed dès son investiture. Il avait accueilli les sit-inneurs juste après son élection à Carthage. La coordination avait interagi positivement avec lui, suspendant leur sit-in, mais faute de promesses tenues, les choses ont mal tourné et le blocage avait repris. Voulant toujours garder une mainmise sur ce dossier, le conseiller de Kaïs Saïed avait assuré que la présidence de la République était en charge du dossier, mais le gouvernement Mechichi est entré en jeu prenant le relais, toujours dans le cadre de la guerre de prérogatives entre les deux têtes de l'exécutif.
Aujourd'hui, la question qui se pose est de savoir si le gouvernement Mechichi va réussir là où tous ses prédécesseurs ont échoué. Et si succès il y a, on se demande bien à quel prix. Une chose est certaine, le déblocage de la situation sera un franc succès pour le nouveau locataire de la Kasbah, non seulement sur le plan socioéconomique, mais surtout sur le plan politique.