Les propos du président français Emmanuel Macron en hommage à l'enseignant d'histoire-géographie, Samuel Paty, décapité par un terroriste après avoir montré des caricatures du prophète Mohamed, ont suscité de nombreuses réactions. Ils soulèvent ainsi le débat entre d'un côté, liberté d'expression et droit au blasphème, et de l'autre, islamiste et islamophobie dans un climat socio-politique délicat. Le débat sur l'islam, l'islamisme et l'islamophobie n'a jamais été autant d'actualité. Dans son discours prononcé en hommage à Samuel Paty, le président français, Emmanuel Macron, a ouvert le débat en évoquant les mesures qui seront introduites afin de protéger la France contre ce qu'il appelle le « séparatisme ». Le président français saisit, entre-autres, une « menace musulmane » pour assurer qu'il prendra l'Islam dans son pays en main car, dit-il, « cette religion est en crise aujourd'hui partout dans le monde ». Alors qu'il aurait dû penser aux 5,7 millions de musulmans français, Macron a abordé la question en faisant ressortir la religion comme étant l'origine des problèmes. Au vu des difficultés auxquelles est confrontée cette communauté, notamment en termes de discrimination dans l'éducation ou l'emploi, ces déclarations n'auront servi, de l'avis de nombreux observateurs, qu'à jeter de l'huile sur le feu.
Le 16 octobre 2020, Samuel Paty, enseignant d'histoire-géographie, a été décapité près de l'établissement où il enseignait, par un jeune homme de 18 ans. Quatre jours avant son assassinat, Samuel Paty a montré les caricatures du prophète Mohamed parues dans le journal « Charlie Hebdo » à ses élèves de quatrième année lors d'un cours sur la liberté d'expression afin d'expliquer l'existence du droit au blasphème en France. Comme ces caricatures pourraient être jugées offensantes, l'enseignant a autorisé les élèves à choisir de rester ou quitter la salle. Or, l'un des parents d'élèves a accusé le professeur d' « islamophobie » et l'a qualifié de « voyou ». Une tempête a été déclenchée, dès lors, sur la toile et s'est conclue par un assassinat terroriste. Dénonçant « les lâches » qui ont livré l'enseignant « aux barbares », le chef de l'Etat français s'était exprimé le 23 octobre lors d'un hommage à la victime du terrorisme : «Samuel Paty est devenu vendredi le visage de la République, de notre volonté de briser les terroristes, de réduire les islamistes, de vivre comme une communauté de citoyens libres dans notre pays (…) Nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins, même si d'autres reculent ». Les propos de Macron qui a promis de ne pas « renoncer aux caricatures » du prophète Mohamed, ont suscité l'émoi dans plusieurs pays du monde arabo-musulman et du Moyen-Orient où se sont multipliés les appels au boycott de produits français.
La Turquie, l'Iran, la Jordanie ou encore le Koweït ont dénoncé la publication des caricatures estimant qu'il s'agit d'une offense à l'islam et aux musulmans. L'Organisation de coopération islamique, réunissant certains pays musulmans, a, à son tour, déploré « les propos de certains responsables français […] susceptibles de nuire aux relations franco-musulmanes ». Ce qu'a dit Macron a, par ailleurs, fortement déplu à son homologue turc, Erdogan qui l'a appelé à « subir des examens psychiatriques ». L'Elysée a répliqué en décidant de rappeler à Paris son ambassadeur en Turquie « pour consultation ». En Tunisie, certains citoyens ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux dans ce sens allant jusqu'à appeler à boycotter la langue française. D'ailleurs, le député de la circonscription France 1, Yassine Ayari a appelé le président de la République à annuler le sommet de la Francophonie qui se tiendra en Tunisie en 2021.
En réaction aux nombreuses campagnes, la diplomatie française a appelé les pays concernés, à « faire cesser immédiatement les appels au boycott des produits français ». « Ces appels et autres manifestations hostiles à la France sont instrumentalisés par une minorité radicale », a affirmé le ministère français des Affaires étrangères, appelant les autorités des pays concernés à accompagner les entreprises et assurer la sécurité des ressortissants français. Dans une série de statuts publiés sur les réseaux sociaux, Emmanuel Macron a réitéré sa détermination à défendre ce qu'il considère comme les devises de la France. « Rien ne nous fera reculer, jamais. La liberté, nous la chérissons ; l'égalité, nous la garantissons ; la fraternité, nous la vivons avec intensité. Notre histoire est celle de la lutte contre les tyrannies et les fanatismes», a-t-il écrit. Et d'ajouter, alors que certaines personnes l'accusent d'islamophobie : « Nous respectons toutes les différences dans un esprit de paix. Nous n'acceptons pas les discours de haine et défendons le débat raisonnable. Nous continuerons. Nous nous tiendrons toujours du côté de la dignité humaine et des valeurs universelles ». Que veut dire le terme « islamisme » ? Le terme « islamisme » renvoie au courant de pensée islamique essentiellement politique. Certains utilisent ce mot pour désigner aussi bien les Frères musulmans que les « jihadistes » appartenant à l'organisation terroriste Etat islamique. Pour d'autres, le flou qui caractérise le terme ne peut que faire perpétuer des amalgames islamophobes. L'apparition du mot « islamisme » dans la langue française remonte à l'année 1697. Le terme a été d'abord employé pour désigner la «Religion musulmane» (il renvoie alors à «islam») puis précisément le «Mouvement politique religieux prônant l'expansion ou le respect de l'islam». Ce que le politologue et spécialiste de l'Islam et du monde arabe contemporain, Gilles Kepel, confirme qui propose de remplacer le «-ique» d'«islamique» par un «-iste» dans le but de «distinguer, dans l'usage français, ce qui était simplement musulman de ce qui relevait des ambitions politiques de certains mouvements». L'islamisme, selon l'écrivain algérien Kamel Daoud, est une machine à démanteler : « Il faut dissocier l'islamisme du communautarisme car ce n'est pas parce qu'on appartient à une communauté qu'on est propriétaire exclusive d'une religion ». L'écrivain algérien a expliqué que le courant islamiste travaillait sur deux segments affectifs puissants : l'orthodoxie religieuse et le souvenir douloureux de la colonisation qui était un fait de l'Occident et qui déteint sur les valeurs universelles que ses élites défendent, particulièrement, la liberté et laïcité. Il propose alors une réflexion sur les outils utilisés par les islamistes pour servir les intérêts d'un projet politique. Ceux-ci se présentent, selon l'expression de Kamel Daoud, comme des « candidats au pouvoir » sur le corps, la sexualité, l'identité, l'histoire… alors que l'islam n'est qu'une religion choisie volontairement.
Qu'est-ce que l'islamophobie ? Le terme « islamophobie » peut se définir sémantiquement en « peur de l'islam ». Le mot date de plus d'un siècle. Selon l'ouvrage des sociologues au centre français de la recherche scientifique « Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le problème musulman ?», paru en 2013, le terme plonge ses racines au début du XXe siècle. « Des anthropologues et un peintre orientaliste, Etienne Dinet, l'ont employé pour critiquer les tensions autour de l'islam et pour dénoncer une vision coloniale de la religion », souligne auprès du Parisien l'auteur de « La nouvelle islamophobie » (2003). L'islamophobie est donc considérée comme étant « une forme de racisme basée sur le rejet de l'autre en tant que tel, à cause de sa différence religieuse ». Cette idée raciste est revenue au premier plan après chaque attentat terroriste. Ce qui fait que la population musulmane paye la facture, devenant la cible de discriminations, de racisme, voire d'agressions.
Quelle que soit l'interprétation qui est faite des caricatures, la liberté d'expression est un droit constitutionnel. Personne ne devrait être menacé, a fortiori assassiné, pour avoir montré des caricatures religieuses. Ceci, indépendemment de l'offense ressentie par les musulmans et des critiques proférées à l'encontre des discours islamophobes. Justifier un crime odieux sous prétexte de l'offense d'une religion est aussi « une autre manière » de propager le terrorisme. Le terrorisme et l'apologie de ses crimes sont, indéniablement, les deux faces d'une même pièce…