Imaginons un instant un policier convoqué devant la justice car il aurait verbalisé un automobiliste qui aurait grillé un feu rouge. Imaginez un douanier poursuivi en justice car il aurait saisi des produits de contrebande. Imaginez un agent des impôts mis en accusation parce qu'il a procédé à un contrôle fiscal. Cela parait improbable mais c'est pourtant ce qui est arrivé à la Haica (haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle) avec Saïd Jaziri et sa radio illégale. Non contente d'être en bas du classement des institutions dans lesquelles les Tunisiens ont confiance, l'un des représentants de la justice tunisienne, à savoir le procureur de la République à Zaghouan, a ajouté plusieurs clous dans le cercueil d'une justice à l'abandon, dans le traitement qu'il a fait de l'affaire de la Haica contre Saïd Jaziri. Cet élu, voyant le matériel de transmission de sa radio saisi par la Haica, court porter plainte contre l'instance constitutionnelle pour vol et tentative de meurtre. C'est comme si un contrebandier allait porter plainte contre le douanier qui a saisi sa marchandise illégale et le procureur de la République accepte cette plainte ! Et au procureur alors de convoquer le président de la Haica, Nouri Lajmi, et plusieurs autres personnes. Il donnera ensuite des instructions verbales aux agents de la Garde nationale pour qu'ils n'acceptent pas les papiers du comité de défense qui s'est mobilisé. Quelle honte pour la justice tunisienne de voir l'un de ses membres ternir ainsi son image ! Même aux pires moments de ce qu'on avait appelé dictature, aucun procureur n'aurait osé faire cela. En plus, la radio illégale est enregistrée au nom du frère de Saïd Jaziri. Donc ce dernier n'a pas le droit de porter plainte en son nom et n'est pas le représentant légal de la radio en question. Le procureur de la République n'a pas jugé ce point important. Quand les membres de la Haica ont attiré son attention sur ce même point, il s'est contenté d'un simple « Ah, je ne savais pas ». Ce même procureur avait reçu tout le dossier lors de la saisie du matériel opérée par la Haica. Ce même procureur s'était opposée au fait de mobiliser la force publique lors de cette même opération de saisie. Du côté du gouvernement cette affaire n'émeut personne. Ni le locataire de la Kasbah, ni les membres de son demi-gouvernement, ni ceux de son super cabinet, n'ont bougé le petit doigt. Seule réponse obtenue par le président de la Haica contre ses appels au secours fût un laconique : « on verra ce qu'on peut faire ». Ont-ils peur de prendre des mesures et de faire simplement leur boulot en faisant appliquer la loi ou est-ce une autre manifestation de leur incompétence ? Peu importe, le résultat est le même. La Haica se trouve livrée à elle-même contre la machine lourde et sourde d'une justice aux ordres. La Haica a le tort de déranger le « coussin » politique de ce gouvernement. Saïd Jaziri est, au moins idéologiquement, proche des islamistes d'Ennahdha. Il est en plus élu. Donc, en tant que membre du cartel du Bardo, il est intouchable et peut faire ce qu'il veut, comme Rached Khiari ou encore les élus Al Karama. A lire également Amin Mahfoudh : Les députés doivent délaisser leur immunité avant de déposer une plainte ! En plus, les partis qui soutiennent ce gouvernement, sont particulièrement sensibles à cette question de fermeture de chaines et de saisie de matériel. Ennahdha et Qalb Tounes sont en lien direct avec un certain nombre de chaines illégales comme Nessma, Zitouna ou Hannibal TV. Il ne faudrait surtout pas créer un précédent de fermeture définitive d'une chaine illégale en permettant à la Haica de faire fermer la radio al Quran al Karim de Saïd Jaziri. Peu importe la nature du discours diffusé sur les ondes de cette radio, peu importe que son prétendu propriétaire soit aussi un élu du peuple. Ces chaines ont permis à ces partis d'avoir une présence conséquente au sein de l'ARP et il ne faut pas qu'une instance constitutionnelle puisse appliquer la loi les concernant. Ils n'ont également aucune considération pour l'autre précèdent que cela peut créer, celui de voir les responsables d'une instance convoqués par la justice pour avoir fait leur travail. A l'avenir, les instances constitutionnelles, ne pourront pas jouer leur rôle de régulateur car elles seront soumises à cette menace de se voir trainées devant les tribunaux. Les agents d'exécution de ces instances seront intimidés et persécutés si jamais ils ont l'audace de mettre en application des décisions qui ne seraient pas du goût du pouvoir en place. L'objectif est de mettre ce genre d'instances, et particulièrement la Haica, sous les ordres et d'en faire un outil supplémentaire aux mains du pouvoir en place. Si l'on ne parvient pas à la mettre aux ordres, on doit au moins la neutraliser et ne pas lui permettre de déranger nos intérêts, voilà la logique selon laquelle le pouvoir fonctionne. Demain, pourquoi pas faire la même chose au niveau de l'instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) ou pour d'autres ? En somme, quand le chef du gouvernement a la bouche pleine de « fermeté », de « respect de la loi » et de « démocratie », les membres d'une instance constitutionnelle indépendante sont trainés en justice par un élu islamiste radical qui a mobilisé ses troupes pour les attaquer, les diffamer et les traiter de mécréants. Il y a deux leçons à tirer de ce qui se passe : les lâches ne font pas l'Histoire et évitez d'appliquer la loi, vous risquez d'être poursuivis !