Pendant que notre classe politique se dispute des prérogatives et multiplie les combines et les machinations, 14.223 Tunisiens sont morts des suites du Covid-19. Le président de la République, Kaïs Saïed, bien qu'il s'en défende vigoureusement, fait désormais partie de ce triste manège alors que des centaines de milliers de personnes voyaient en lui un espoir, puisqu'il vient d'en dehors des partis. Dans les dernières 24 heures, Kaïs Saïed a accordé audience à Lotfi Zitoun, qui vient jouer les intermédiaires entre le président et le chef du parti islamiste, Rached Ghannouchi, alors qu'il aurait suffi qu'il prenne son téléphone. Le président a également reçu son ami Ridha Chiheb Mekki, alias Ridha Lénine, pour dire qu'il avait raison depuis une décennie sur le devenir de ce système politique. Il a aussi parlé de « porter les rêves du peuple tunisien mais aussi ceux de toute l'humanité ». Tout un programme. Pourtant, ce qu'on demande au président est bien plus modeste que cela. Car avant de rêver, un être humain doit être vivant. Pendant que l'on se triture l'esprit sur la nature du système politique et son adéquation avec le peuple, pendant que l'on tergiverse sur les constitutions de 2014, 1975 et 1959, des centaines de Tunisiens sont en train de mourir du Covid-19. C'est l'hécatombe dans quatre gouvernorats du pays et le personnel de santé se trouve livré à lui-même dans une guerre qu'ils sont les seuls à mener. Que les nombreux fans et groupies du président soient rassurés, il n'incombe pas uniquement à Kaïs Saïed de combattre la pandémie. La liste des échecs du gouvernement sur ce sujet est interminable. La communication autour de la pandémie ne s'est jamais hissée à un niveau respectable et audible par la population, la fourniture de vaccins a été chaotique et nous restons en manque à ce jour, les directives du comité scientifique ont été reléguées au quatrième rang lors de la prise de décision nationale et surtout, le gouvernement est ouvertement incapable de mettre ses propres directives en application. Mais tout cela n'exempte pas le président de la République de sa part de boulot dans la lutte nationale contre le Covid-19. Lui qui se proclame tout à tour chef de toutes les forces armées, militaires et civiles, et unique interprète de la constitution, doit donner l'exemple et se mobiliser pour le pays, pour le peuple qui veut.
La dernière réunion du conseil de sécurité nationale a eu lieu le 25 janvier 2021 et devait être consacrée à la situation épidémiologique. Depuis, plus rien. Aucune réunion de ce type n'a eu lieu car Kaïs Saïed ne supporte pas de voir Hichem Mechichi ou Rached Ghannouchi dont la présence est imposée par la loi. L'aggravation de la situation sanitaire impose à tout dirigeant sensé de diligenter les réunions et toutes les mesures possibles pour tenter d'endiguer le fléau. Kaïs Saïed préfère évoquer des souvenirs de campagne avec un de ses amis. Et le tout en enfreignant la loi, de surcroit. Selon le décret gouvernemental 2017-70 du 19 janvier 2017, « le conseil de sécurité nationale se réunit au moins une fois tous les trois mois et chaque fois que de besoin sur convocation du président de la République, qui fixe l'ordre du jour ». Que le chef de l'Etat n'estime pas nécessaire une réunion de ce conseil vu la situation, c'est une affaire d'interprétation. Mais ne pas tenir une telle réunion pendant cinq mois est tout simplement illégal. Mais comme c'est le président qui « combat les islamistes » et qui a « trois millions de voix », on ferme les yeux. Cette nonchalance envers la tragédie quotidienne que représente la pandémie de Covid-19 n'empêche pas les services de la présidence de la République de braconner sur les maigres réalisations que l'on peut enregistrer. Prenons par exemple les dons de matériel prodigués à l'Afrique par le milliardaire Jack Ma et la fondation Alibaba en avril 2020. La présidence de la République s'en était faussement attribuée le mérite. Bien plus récemment, 500 mille doses de vaccin sont arrivées de Chine le 21 juin. Selon la présidence de la République c'est une « matérialisation des instructions du chef de l'Etat pour intensifier le mouvement diplomatique pour accélérer la fourniture de vaccins à la Tunisie ». Il n'en est rien. Il s'agit d'une commande ferme de l'Etat tunisien, négociée pas ses services avec l'appui de la commission de la Santé au parlement, présidée par Ayachi Zammel, qui a organisé plusieurs réunions avec l'ambassadeur de Chine en Tunisie et qui en a même négocié le prix. La présidence de la République n'a rien à voir là-dedans. Autre exemple pour tenter de s'attribuer un mérite inexistant : un futur don américain de vaccins. La présidence de la République remercie les autorités américaines d'avoir intégré la Tunisie dans un programme de dons. Dans le communiqué, la présidence estime que « cette initiative reflète la solidité des relations d'amitié historiques entre les Etats-Unis d'Amérique et la Tunisie ». Une belle formule diplomatique pour cacher l'état de misère et de délabrement atteint par la Tunisie qui se trouve avoir besoin d'un américain destiné à 30 pays pauvres. En même temps, on tente de présenter ce don comme un effort entrepris par la présidence et on recherche quelque gloire à travers cela.
Quatre personnes meurent chaque heure en ce moment en Tunisie. Les survivants n'ont rien à faire de changer la constitution, de changer le régime politique ou des différents dialogues possibles. La situation est catastrophique, nous enregistrons chaque jour des bilans chaque jour plus lourds, et pourtant nous avons l'impression d'être seuls face à cela. La guerre civile que tout le monde semble craindre, nous en payons déjà le prix en vies humaines.