A l'occasion de son entretien avec la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, à la date du 4 décembre 2021, le président de l'Ordre des experts comptables de Tunisie (OECT), Walid Ben Salah a présenté une série de propositions relatives aux réformes économiques qu'entreprendra le gouvernement. Une copie de ce document est parvenue à Business News. Il comporte soixante recommandations portant sur la simplification des textes et des procédures, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale et l'amélioration du climat des affaires. Pour rappel, Walid Ben Salah avait signalé, à l'occasion d'une interview accordée le 1er novembre 2021 à la radio Express FM, la promulgation de près de 800 mesures fiscales en Tunisie depuis 2011. Ce constat a été confirmé par la proposition de l'OECT. Celle-ci a précisé que 531 nouvelles mesures fiscales avaient été adoptées dans le cadre des lois de finances depuis 2011. A ces textes réglementaires viennent s'ajouter 265 notes communes. Le rapport a, également, relevé que 265 notes communes et plus de 4700 prises de position de l'administration fiscale ont vu le jour durant la dernière décennie. L'OECT a conclu que la complexité du système fiscal tunisien a provoqué le manque d'adhésion à l'accomplissement du devoir citoyen d'acquittement de l'impôt et l'évasion fiscale aggravée par l'absence de diffusion de la culture fiscale, de vulgarisation des mesures prises, leurs effets sur les recettes de l'Etat et leur affectation. L'ordre a signalé l'inapplicabilité de plusieurs textes ou leur manque d'intelligibilité. Le document a, aussi, mis en évidence les écarts significatifs entre le résultat fiscal imposable et le résultat économique et comptable. « Cette situation est encore aggravée par la multitude, la complexité et la lourdeur des formalités fiscales obligatoires et le manque de digitalisation de plusieurs processus », lit-on dans le même document. Au cours de la déclaration citée précédemment, Walid Ben Salah avait critiqué la complexité des formalités des déclarations fiscales. Il a déploré l'existence de près de 17 déclarations à remplir par année. Le président de l'OECT avait affirmé que ceci poussait le citoyen à fuir les procédures. A ce sujet, l'ordre a appelé à la réduction et l'allégement des formalités administratives ainsi que la favorisation de la digitalisation. L'OECT a considéré que deux axes de réforme ont été quasi totalement occultés, en l'occurrence la modernisation de l'administration fiscale et le renforcement de la décentralisation et la promotion de la fiscalité locale. Par conséquent, l'ordre a proposé un examen des mesures fiscales en vue de supprimer les textes inapplicables, inefficaces, anti-économiques ou sans rendement apparent pour le trésor public. La proposition inclut, également, la promulgation d'un code général des impôts. Ces mesures doivent être accompagnées par d'autres réformes telles que la réalisation d'une analyse d'impact de la réglementation de façon systématique permettant d'estimer l'impact de toutes mesures fiscales sur les recettes du budget de l'Etat, les entreprises et le citoyen et la conformité de la législation tunisienne aux normes internationales afin d'éviter les classements dans les listes noires, de favoriser la transparence fiscale et de renforcer les contrôles. Les propositions de l'ordre ont, également, porté sur la sensibilisation des citoyens au sujet de l'accomplissement de ses devoirs, la diffusion de la culture fiscale et la vulgarisation des mesures en vigueur.
Pour ce qui est de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, l'OECT a indiqué que celle-ci provoquait une répercussion des charges fiscales sur les bons contribuables et une dégradation des recettes fiscales. « La lutte contre ce fléau peut être l'une des premières solutions sur la voie du rétablissement des équilibres budgétaires en Tunisie », énonce la même source. L'ordre a estimé que la Tunisie devait se doter d'un plan de rétablissement de la transparence fiscale et de l'équité entre les citoyens basé sur trois axes. En premier lieu, le plan doit contribuer à la lutte contre l'informel et les régimes favorisant la fraude et l'évasion fiscale. L'OECT a évoqué l'étude réalisée par l'Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives en 2019 et révélant que le volume de l'économie informelle était estimé à 41% du PIB et représentait un manque de recettes fiscales pour le trésor public de l'ordre de 9,6% du PIB. Le même rapport avait affirmé que cette somme permettrait de couvrir la totalité du déficit budgétaire et ne pas recourir à l'endettement, ou encore de tripler le budget d'investissement de l'Etat. Afin de lutter contre l'informel et la fraude, l'ordre a proposé de : - Repenser le rôle de la police fiscale et de le généraliser sur l'ensemble du territoire. - Repenser l'organisation des différentes structures de contrôle et les doter des moyens nécessaires. - Lutter contre la corruption en simplifiant les procédures et en favorisant la digitalisation. - Réglementer le commerce électronique, les services et les ventes en ligne L'OECT a, aussi, signalé que la fraude et l'évasion fiscale étaient opérées par les contribuables. Citant une étude réalisée par l'Association des économistes tunisiens en 2017, le document a rappelé qu'une personne physique patentée sur deux était en défaut de déclaration. « Ce taux est de 46% pour les personnes morales. 70% des personnes physiques patentées bénéficient du régime forfaitaire et ne contribuent au budget de l'Etat qu'à hauteur de 42 MD », poursuit la même source. L'OECT a proposé l'élimination des régimes forfaitaires, l'application du régime d'auto-entrepreneur pour quelques petits métiers, la mise en place de caisses enregistreuses, l'encouragement des moyens de payement électroniques et la généralisation de l'application de la TVA.
En deuxième lieu, le plan doit porter sur le renforcement des mécanismes et des outils du contrôle fiscal. L'OECT a mis l'accent sur l'importance de la mobilisation de plus de moyens humains et logistiques. Parmi les propositions à ce sujet, nous pouvons citer : - L'augmentation du nombre des vérificateurs (nettement inférieur aux normes internationales) tout en leur assurant les formations nécessaires et des moyens logistiques sophistiqués. - La digitalisation des retenues à la source, de la TVA et du service de gestion des bons de commandes fiscaux. - La généralisation de la restitution des crédits d'impôts et taxes sur la base d'un rapport du Commissaire aux Comptes. - La création d'un mécanisme de compensation entre les impôts de natures différentes. - L'analyse, le recoupement et le croisement des informations et des données massives (Big data, data mining, intelligence artificielle). - La publication des noms des grands fraudeurs et leur interdire, même à titre provisoire, l'accès à certains services, activités ou marchés. En troisième lieu, le plan permettra le renforcement des garanties du contribuable en matière de contrôle fiscal. L'OECT a souligné la nécessité de trouver un équilibre subtil entre deux notions contradictoires : les garanties du contribuable vérifié et les prérogatives de l'administration vérificatrice. Cet équilibre est tributaire de l'amélioration des relations avec le contribuable vérifié, d'une part, et une plus grande transparence des opérations de vérification, d'autre part. Afin d'atteindre cet objectif, l'OECT propose de : - Renforcer le débat oral et contradictoire à travers sa reconnaissance explicite par les textes. - Consacrer législativement l'obligation de motivation des résultats de vérification et de fournir au contribuable l'ensemble des pièces ayant fondé le redressement. - Matérialiser la clôture des dossiers de contrôle à travers la communication au contribuable vérifié d'un rapport sur la clôture de la vérification. - Réviser le caractère exécutoire et non susceptible de suspension de certaines sommes taxées d'office. Par la suite, l'OECT a affirmé que la baisse des investissements n'était pas due uniquement à l'augmentation de la pression fiscale et la prolifération de l'économie informelle, mais également à un climat des affaires peu favorable à l'investissement et l'insuffisance d'incitations adaptées et ciblées l'accompagnant.
La même source a considéré que l'amélioration du climat des affaires et la relance de l'investissement exigeaient une intervention au niveau du cadre réglementaire et incitatif, de l'infrastructure, de la formation, du système de recherche et de l'innovation, de l'amélioration de l'attractivité du site tunisien, etc. L'ordre a constaté un manque de cohérence entre la loi n° 2016-71 du 30 septembre 2016, portant loi de l'investissement et la loi n° 2017-8 du 14 février 2017, portant refonte du dispositif des avantages fiscaux, une discordance entre les objectifs du Développement Régional et les incitations accordées, la suppression injustifiée de certains avantages fiscaux, une lenteur du processus de création des entreprises, ainsi que plusieurs autres obstacles. Afin de les éliminer, nous trouvons une panoplie de propositions présentées par l'OECT, dont nous pouvons citer : - L'élaboration d'une stratégie claire avec des priorités relatives au maintien en vie des entreprises et des perspectives claires sur les choix des secteurs à développer. - L'adoption d'une communication gouvernementale claire et percutante pour rassurer le secteur privé et les investisseurs. - L'évaluation de l'ensemble du dispositif actuel régissant l'investissement. - L'accélération de la promulgation des textes d'application de la loi portant sur l'économie sociale et solidaire et de la loi portant sur le « crowdfunding ». - La révision de la réglementation de change et clarifier davantage la définition des statuts de « résident » et de « non résident ». - L'accord d'avantages supplémentaires et l'allégement des conditions d'octroi au profit des secteurs porteurs vitaux et d'avenir. - L'accélération du processus d'aménagement des zones industrielles et la résolution des problématiques liées aux terres agricoles permettant de les inventorier et les affecter d'une manière efficace au profit de projets productifs. - L'élaboration d'une cartographie de la main d'œuvre par région et par spécialité. Enfin, l'OECT a invité les autorités publiques et l'ensemble des acteurs économiques, politiques et de la société civile à s'engager dans un processus de réflexion sur les réformes garantissant le rétablissement de la confiance dans les institutions de l'Etat, l'assainissement du climat des affaires et la promotion de l'investissement.