Aïd mabrouk à tous et paix aux âmes de tous les civils décédés dans le conflit israélo-palestinien. Cette terre est juive, elle est inscrite dans la Torah, affirment les Israéliens en brandissant les livres d'histoire et de théologie. Cette terre est musulmane, elle est inscrite dans le coran, affirment les Palestiniens en brandissant les livres d'histoire et de théologie. Les peuples, génération après génération, se tuent en perpétuant la détestation des arabes pour les uns, la détestation des juifs pour les autres. Ne peut-on donc pas faire la paix ? L'humain, de tous temps, a toujours fait la guerre et tué son prochain. Ça a commencé avec Abel. L'humain adore trop la guerre pour pouvoir faire la paix. En Tunisie, terre autrefois conquise par les Arabes, on a réussi à faire la paix et à accepter la culture et la religion du conquérant. Paix à ton âme Kahéna. Le Tunisien adore trop la paix pour pouvoir faire la guerre. Chaque fois que l'on cherche à guerroyer un peu, il y a un étranger qui vient nous rappeler notre réalité misérable et nous ordonne, par la force, de rester tranquilles. C'était le cas en 1881. Si nous ne nous étions pas rendus colonisables, la France ne nous aura jamais imposé son protectorat. C'était le cas en 2013 quand nous étions à un cheveu d'une guerre civile entre islamistes et révolutionnistes d'un côté, laïcs, gauchistes et progressistes de l'autre. On nous a imposé un Dialogue national et on a réussi à faire la paix. Pour récompenser notre effort de bons élèves pacifiques, nous avons eu droit au meilleur satisfecit du monde, sous la forme de Prix Nobel de la Paix ! Hein que nous savons conclure la paix quand on veut ?!
En 2021, on répète la chanson. Les institutions sont en panne, la crise économique est à son apogée, les caisses sont vides et les gouvernants s'entredéchirent. Ça ne vous rappelle pas un peu le scénario de 1881 ? Les islamistes accusent le président Kaïs Saïed de bloquer la création de la cour constitutionnelle et la formation d'un gouvernement ayant reçu la confiance du parlement. Kaïs Saïed accuse les islamistes de corrompre la vie politique en s'alliant et en nommant des corrompus et des personnes douteuses à différents postes de l'Etat, y compris à la tête des ministères. Chacun estime avoir raison et refuse de reculer d'un pas. Les uns rappellent que les islamistes ont été élus grâce à l'argent sale et la tricherie, les autres rappellent que les non-islamistes n'ont aucun poids électoral et ne sont que des fumigènes médiatiques. Que faire ? Les pareilles situations de blocage mènent inévitablement vers la guerre. Allons vers la guerre ! Il faut en finir une fois pour toutes avec les islamistes et les exclure de la vie publique, disent les uns avec, pour tête de file, le PDL. Nous avons trop souffert et nous sommes prêts à défendre notre pouvoir par le sang, disent les autres. Ici, on fait fuiter des enregistrements et des vidéos abjectes ; là on filme des « live » et on dénonce les fraudes et les violations de la loi. C'est ça la guerre ? Non, pas encore, c'est juste un hors d'œuvre. Mais ça va venir, vous allez voir ce que vous allez voir, promettent les uns et les autres. Pendant ce temps, le gouvernement patauge et peine à boucler ses fins de mois pour payer les salaires. Il doit trouver une solution immédiate pour que la cocotte, bien chauffée, n'explose pas à la figure de tous sans distinction des couleurs des uns et des autres. Que faire ? Faute de volonté et d'appui politique pour pouvoir entamer les réformes et l'austérité nécessaires, le gouvernement joue la mendicité. Il a besoin des pays amis, notamment les Etats-Unis, pour pouvoir emprunter au FMI quelques mois de salaire. Ça ne vous rappelle pas un peu le scénario de 1881 ? Quand on appelle l'étranger à la rescousse, il ne faut pas s'étonner que celui-ci s'immisce dans vos affaires intérieures et vous dicte ce que vous devez faire. Les Etats-Unis ne se sont pas embarrassés pour cela et ils ont tiré les oreilles des uns et des autres avec des messages ici et là.
Dans un premier temps, c'est Donald Blome, ambassadeur US à Tunis, qui entre en scène, avec une interview donnée le 2 mai à Leaders. On y lit notamment cette phrase : « La Tunisie a besoin d'entente entre ses acteurs. Cette concorde donnera un signal fort de sa crédibilité aux Etats-Unis et aux bailleurs de fonds. » Moins d'une semaine plus tard, le 8 mai, l'ambassadeur Blome se rend au siège du PDL pour rencontrer sa présidente Abir Moussi. Trois jours après, le 11 mai, la vice-présidente américaine Kamala Harris s'entretient avec Kaïs Saïed pour mettre l'accent sur la nécessité de lutter contre la corruption et l'importance de poursuivre l'achèvement des institutions démocratiques. Le message est fort quand on sait que Kaïs Saïed bloque certaines institutions, notamment la cour constitutionnelle et le gouvernement, et que les islamistes sont accusés de corruption et de casser plusieurs institutions de l'Etat. Le PDL n'a pas jugé bon de nous faire part du contenu complet de la rencontre Moussi-Blome, aidé en cela par l'ambassade US à Tunis qui n'a quasiment rien communiqué non plus. Carthage a pensé jouer au plus malin en communiquant sur une partie seulement de la conversation Saïed-Harris. C'était sans compter la transparence de la Maison Blanche (imposée par le véritable sens du mot démocratie) et les médias fouineurs qui ont publié le contenu complet de la conversation. En revanche, ni les Américains, ni Ennahdha n'ont communiqué sur un entretien entre les deux parties. Connaissant les uns et les autres, il est fort à parier qu'il y a eu, ces derniers jours, une rencontre ou un entretien téléphonique entre des dirigeants ou des diplomates américains et des dirigeants islamistes. Il n'est pas dans les habitudes des Etats-Unis de contacter les uns et pas les autres.
Toujours est-il que le résultat de cette intervention-ingérence américaine a porté ses fruits. Les trois présidents ont profité de l'aïd pour se parler enfin. Le porte-parole officieux de Rached Ghannouchi, son gendre Rafik Abdessalem en l'occurrence, a cessé ses attaques quotidiennes contre Kaïs Saïed. Il y a comme une lueur d'espoir que la crise politique aigüe que l'on vit depuis des mois touche à sa fin, que Kaïs Saïed débloque la formation du gouvernement et poursuive l'achèvement de la mise en oeuvre de la cour constitutionnelle ; et que Rached Ghannouchi cesse de protéger les siens en faisant jouer l'immunité parlementaire contre l'esprit même de la Justice. Si tout cela se concrétise, et ce serait tant mieux, ce serait la preuve que nous sommes encore un peuple colonisable qui a besoin d'une tape étrangère sur les doigts pour être sérieux et cesser ses enfantillages.