Incident diplomatique, ordres venus de très haut. Tels sont les mots proférés par la garde nationale algérienne pour justifier les mesures d'exaction entreprises contre de simples touristes tunisiens frontaliers. Depuis hier soir, les Tunisiens rentrant au pays, depuis l'Algérie, subissent un flot d'exactions de la part des forces de l'ordre algériennes. Tout ce qu'ils ont acheté en Algérie est confisqué. Des kilomètres de files dans les différents postes frontières, des fouilles corporelles et parfois des mesures absurdes et zélées. Comme le cas de cet enseignant, qui témoigne sur Mosaïque FM, à qui on a fait retirer le manteau qu'il portait sous prétexte qu'il l'a acheté durant son court séjour algérien. Les agents de la garde nationale algérienne étaient clairs, les ordres sont venus de très haut (sous-entendu la présidence la République), et la raison est un incident diplomatique avec la Tunisie. Quel incident ? Depuis le 25 juillet 2021, date à laquelle le président Kaïs Saïed s'est accaparé les pleins pouvoirs pour ériger un régime despotique, les relations sont au beau fixe avec le président algérien Abdelmajid Tebboune. Ce dernier est venu, plus d'une fois, au secours de son homologue tunisien avec des dons et des crédits à taux avantageux. Entre les deux frères, c'était le printemps, jusqu'à la semaine dernière, quand la militante algéro-française Amira Bouraoui a franchi illégalement les frontières pour se réfugier en Tunisie, d'où elle voulait embarquer vers la France. L'agent des polices des frontières s'apercevant de l'absence du tampon « entrée » sur le territoire, l'a empêchée de partir la traduisant devant la justice. La juge chargée du dossier a décidé de la libérer reportant, à une date ultérieure, son audition, surtout après qu'elle lui ait affirmé qu'elle n'a pas franchi illégalement la frontière, mais avec un passeport algérien en bonne et due forme. Passeport qu'elle a perdu. D'après son avocat, elle a remis un certificat de perte, remis par la police tunisienne, aux agents qui l'ont interrogée, mais la juge n'a pas trouvé trace de ce certificat. Toujours est-il qu'elle l'a libérée. Juste après, selon les avocats de Mme Bouraoui, des agents en civil l'ont arrêtée en leur disant : « la juge peut faire ce qu'elle veut, on ne se laissera pas faire ». Propos ordinaires sous un régime dictatorial. Les avocats ont beau qualifier l'acte de kidnapping, ça n'a pas intimidé pour autant les agents. Face à cela, ils ont alerté les ONG, les médias tunisiens et les autorités françaises. Celles-ci ont pris l'affaire en main pour faire pression sur le président Kaïs Saïed, d'après des sources diplomatiques rapportées par le quotidien Le Monde. Pressions qui ont abouti, la dame a pu partir vers Lyon, lundi dernier.
La colère d'Alger fut immédiate, mercredi on rappelle l'ambassadeur en France. Le ministère algérien des Affaires étrangères a publié, pour sa part, un communiqué où il condamne fermement « la violation de la souveraineté nationale par des personnels diplomatiques, consulaires et de sécurité relevant de l'Etat français (…) Ces personnels ont participé à une opération clandestine et illégale d'exfiltration d'une ressortissante algérienne dont la présence physique sur le territoire national est prescrite par la justice algérienne », Le communiqué qualifie l'acte « d'inadmissible et inqualifiable » qui cause « un grand dommage » aux relations algéro-françaises. S'agissant de Tunis, Alger ne fait aucune réaction publique, mais le jour-même comme par coïncidence, le président Kaïs Saïed limoge son ministre des Affaires étrangères, Othman Jerandi. Sous-entendu, c'est lui qui a laissé partir la militante. Or, il ne faut pas être grand connaisseur de la Tunisie pour savoir que le ministre des Affaires étrangères n'a rien à voir et que c'est le président tunisien qui a, forcément, donné l'accord de l'extradition. Le Monde a d'ailleurs relevé ce détail en citant ses sources propres. Un diplomate tunisien justifie la réaction tunisienne en relevant que c'est ainsi qu'on agit partout dans le monde face à un migrant entré clandestinement dans un territoire. « Il est renvoyé tout de suite à son pays d'origine. Amira Bouraoui a présenté un passeport français, il est donc tout à fait normal qu'elle soit renvoyée vers la France », a-t-il indiqué à Business News. Le même rappelle que l'Algérie n'a pas extradé les frères Karoui malgré le mandat d'amener tunisien et les a laissés embarquer vers l'Espagne. Toujours est-il que l'affaire a jeté un coup de froid sur les relations algéro-françaises et algéro-tunisiennes. Si avec la France, Abdelmajid Tebboune a choisi le rappel de son ambassadeur et de garder l'affaire sur un rang polico-diplomatique, il n'en est pas de même s'agissant de la Tunisie. Plutôt que de s'en prendre à « son ami » Kaïs Saïed, il s'en est pris à des Tunisiens frontaliers et touristes qui aiment l'Algérie, ses paysages, ses habitants et ses marchandises. De quel droit fait-il confisquer des produits achetés, légalement, en Algérie ? Quel est le tort de ces frontaliers et de ces touristes ? Les Tunisiens ont toujours très bien accueilli les touristes algériens les préférant à toutes les autres nationalités. Pourquoi le président Tebboune s'en prend aux touristes tunisiens et leur fait-il payer un hypothétique tort de leur président ? Un président impopulaire dont les projets sont rejetés par 89% de la population. Sur un autre plan, il est curieux de constater que la faute première n'est ni celle de la France, ni celle de la Tunisie. Dans le communiqué de son ministère des Affaires étrangères, l'Algérie admet bien qu'elle a été infiltrée par des barbouzes français (CQFD) et qu'elle n'a pas su protéger ses propres frontières laissant ainsi échapper une citoyenne. Si les autorités tenaient vraiment à garder cette citoyenne sur le territoire, elles n'avaient qu'à la surveiller ou l'emprisonner ! S'en prendre à la France et à la Tunisie (ou plutôt aux citoyens tunisiens) est une diversion pour faire oublier que l'Algérie a du mal à surveiller ses propres frontières et son propre territoire, devenu terrain de jeu des Français, selon leur propre aveu. En tout état de cause, les citoyens tunisiens n'ont rien à voir dans cette histoire et n'ont pas à être humiliés par la « grande sœur algérienne ».