Depuis des années, on glose sur le fait qu'il n'y a pas de véritable parti d'opposition en Tunisie à l'exception d'Ennahdha des islamistes et le PDL de Abir Moussi. L'un et l'autre sont honnis par une partie des Tunisiens qui ne veulent plus entendre parler ni des islamistes, ni des destouriens. Face à l'absence totale de toute entité politique capable de fédérer les Tunisiens anti-islamistes et anti-destouriens, l'option Kaïs Saïed s'est trouvée sur une autoroute. C'est la réplique systématique qu'on nous donne quand on dit que l'actuel président de la République est dangereux pour le pays et menace carrément les structures de l'Etat : il n'y a pas d'alternative. C'est vrai, très vrai. Si demain Kaïs Saïed chute (et il chutera inévitablement), les seuls capables de gagner une élection sont les islamistes d'Ennahdha et les destouriens du PDL.
Faute d'alternative à Kaïs Saïed, il faut en créer une et c'est ce à quoi s'est attelé Khayam Turki, président de l'association « Joussour » (passerelles) avant d'être arrêté et jeté en prison comme un terroriste, accusé de complot contre l'Etat. Le paysage est ainsi fait, il n'y a personne qui a suffisamment de poids et de présence territoriale pour fédérer les Tunisiens. Cette vision est cependant tronquée, car le monde politique aujourd'hui n'est plus celui du siècle dernier. Dans plusieurs pays, on a vu naître des partis qui ont rapidement et superbement gagné les élections. Celui du président Emmanuel Macron en France, créé en 2017, en est un exemple. Celui de la présidente du conseil Giorgia Meloni en Italie, créé en 2012, en est un autre. Le fait qu'il n'y ait pas aujourd'hui de force politique capable de s'opposer à Kaïs Saïed ne signifie pas qu'on ne peut pas créer une. C'est même un devoir d'en créer.
Le parti d'opposition Attayar a organisé son congrès électif les 28, 29 et 30 avril. Un congrès qui a réussi à rassembler, pour sa séance inaugurale, la majorité de l'opposition tunisienne. En cette période trouble de la vie politique tunisienne, réunir les principales figures de l'opposition sous un même toit est un grand mérite et un véritable courage. Pour moins que cela, certains se sont retrouvés accusés de complot contre l'Etat. Attayar a été fondé en 2013 par Mohamed Abbou et avait pour ligne directrice l'annihilation de l'ancien régime. Il voulait carrément jeter le bébé avec l'eau du bain. Dix ans après, le parti existe encore et en est à son troisième secrétaire général. Il a fait son autocritique, a mis de l'eau dans son vin et a admis avoir fait plusieurs erreurs, rectifiées depuis. Les nouveaux dirigeants sont à mille lieues du discours revanchard du couple Abbou, ils essaient de fédérer le maximum de Tunisiens. Son plus grand mérite est qu'il a réussi à prouver qu'il existe une véritable démocratie en son sein. Attayar n'est pas le seul à prouver qu'il y a une démocratie à l'intérieur du parti, il y a également Afek Tounes qui, lui aussi, en est à son troisième président depuis sa création en 2011. Afek et Attayar sont deux jeunes partis ringardisés, hier, par la machine islamiste et la machine destourienne et, aujourd'hui, par la machine putschiste. Ringardisés ou pas, cependant, ils demeurent les seuls partis qui respectent vraiment la démocratie, puisqu'ils sont les seuls à l'appliquer à l'intérieur de leur appareil. Il suffit juste de jeter un coup d'œil sur les autres formations pour le constater.
Kaïs Saïed a balayé tous les principes démocratiques. Il est l'unique président dans l'Histoire à avoir écrit tout seul une Constitution, imposée après un référendum au taux d'abstention élevé (70%) avant d'imposer un parlement élu par seulement 11% des Tunisiens. Rached Ghannouchi est en passe de battre un record de longévité à la tête de son parti islamiste Ennahdha. Il est concurrencé de près par Hamma Hammami à la tête du parti d'extrême gauche des travailleurs et a été incapable, avec ses camarades Mongi Rahoui et Zied Lakhdhar, de respecter une vie démocratique au sein du Front populaire. Le PDL de Abir Moussi, créé en 2013, n'a qu'une seule et unique présidente. Elle est la seule à parler et la seule à paraitre dans les médias. Congrès, élections, démocratie ? C'est quoi ces mots ? A-t-on une idée sur le nombre d'adhérents de ces partis, leurs budgets, leurs sources de financement ? Non ! Aucune transparence ! Kaïs Saïed a gagné les élections avec un capucin. Abir Moussi se voit virer de l'argent de l'étranger sans qu'elle sache qui le lui a versé. Ennahdha a cassé la baraque avec l'opacité de ses financements et de son lobbying. En parallèle, Attayar et Afek communiquent publiquement sur leur budget et les parties qui les financent. Cette transparence est une des règles basiques de la vie démocratique. Ajoutons à tout cela que les deux partis évitent tout populisme à deux balles pour glaner les foules, exercice favori de plusieurs.
Attayar et Afek sont jeunes, partis de rien et méritent plus d'attention de la part de tous ceux qui s'intéressent à la vie publique. Le premier est de centre-gauche, le second de centre-droit. Les deux sont mus par des principes démocratiques et appliquent clairement ces principes. Ce ne sont pas des paroles en l'air comme le reste des acteurs politiques qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition. Leur tâche est rude, certes, mais pas impossible. Les victoires de Meloni et de Macron démontrent clairement qu'un jeune parti peut gagner face aux mastodontes, aux opaques, aux tricheurs et aux clowns. On peut s'attarder sur leurs erreurs, mais que celui qui n'en a jamais fait à sa jeunesse jette la première pierre. Un chouia de clémence, envers des partis qui veulent faire avancer le schmilblick avec le très peu de moyens dont ils disposent, est le bienvenu. D'autant plus qu'ils ont fait amende honorable et rectifié le tir. On ne le dira jamais assez, « la démocratie est le pire des régimes à l'exception de tous les autres » (Churchill), notre pays ne survivra pas sans. Et, pour le moment, cette démocratie n'est pratiquée dans les faits que par Attayar et Afek. Entre la parlote des uns et les actes de l'autre, le choix est vite fait. Si jamais le régime putschiste nous laisse le choix déjà, car même cela n'est plus garanti.