Il est incontestable que la ligue arabe jouit d'une mauvaise réputation au sein des populations des pays concernés. Souvent accusée d'être en situation de mort clinique, la ligue arabe ne s'est jamais distinguée par des décisions courageuses et efficaces. Toutefois, le 32e sommet de la ligue qui se tient actuellement à Djeddah en Arabie Saoudite peut receler certaines opportunités pour la Tunisie, en marge du sommet en lui-même. Le premier des enjeux, et sans doute le plus important, pour la délégation tunisienne présente au 32e sommet de la ligue arabe est financier. Le président Kaïs Saïed devra se transformer, ainsi que les membres de sa délégation, en véritable VRP de la Tunisie pour tenter d'obtenir des financements et des prêts destinés au budget de la Tunisie. Les besoins sont importants et la fenêtre d'un accord avec le Fonds monétaire international se referme doucement suite aux déclarations du chef de l'Etat selon lesquelles il refuse tout diktat. Même si cet accord finissait par aboutir, il faudrait quand même faire des efforts importants pour attirer d'autres financements et contracter d'autres prêts auprès des pays frères et amis pour combler les déficits abyssaux des finances de l'Etat. Jihad Azour, directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI, avait déclaré que l'apport de plusieurs pays était nécessaire à la Tunisie en plus du prêt de l'institution de Bretton Woods.
Toutefois, la délégation tunisienne devra faire preuve de subtilité et de crédibilité dans la démarche de trouver des sources de financement pour le budget de l'Etat. Il est fini le temps où des pays comme l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis ou les autres pays arabes riches prêtaient de l'argent et soutenaient les pays d'Afrique du Nord sur la seule base de la fraternité et des liens historiques. Il s'agit aujourd'hui de prêts conditionnés et encadrés à l'image de ce qui se pratique partout dans le monde en matière de coopération bilatérale. Le prince héritier d'Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salman a donné le ton en accordant à l'Egypte des prêts faramineux sur la base de projets d'investissements. Le temps où les monarchies du golfe pouvaient renflouer les caisses d'un autre Etat semble révolu et il s'agit aujourd'hui de présenter un programme d'investissements crédible pour attirer les fonds de ces pays dans une logique différente de celle de la fraternité interarabe. Malheureusement, les trop rares expériences de ce type en Tunisie ont été des échecs retentissants.
Les enjeux diplomatiques seront également à suivre de près lors de ce sommet. Le premier d'entre eux sera de tenter un rabibochage avec le Royaume du Maroc. Il s'agit d'un partenaire important pour la Tunisie en Afrique du Nord. Il faudra tenter de retrouver une relation normalisée avec le Royaume chérifien sans pour autant fâcher le partenaire algérien. Rappelons que le Maroc n'avait pas du tout apprécié le fait que le président de la République, Kaïs Saïed, reçoive en grande pompe le chef du polisario, Brahim Ghali, à l'occasion du sommet de la Ticad. Les choses s'étaient envenimées au point que les deux pays ont rappelé leurs ambassadeurs respectifs pour consultation. Rabat a interprété cela comme une rupture de la Tunisie avec son historique neutralité concernant la question épineuse du Sahara Occidental et donc, un alignement aveugle sur les positions algériennes à propos de cette problématique. Les représentants de la Tunisie devront profiter de l'occasion de ce sommet pour essayer d'arrondir les angles avec le Maroc et pour démontrer que la neutralité positive reste l'un des fondements de la diplomatie tunisienne. Autre enjeu d'importance : la Syrie. Le pays présidé par Bachar el Assad fait son retour, lors de cette édition, dans le giron arabe en participant au sommet de la ligue après une absence de douze ans. Pour la Tunisie, il s'agira de continuer le travail pour faire oublier le coup bas asséné en février 2012 quand le « congrès des amis de la Syrie » avait été organisé dans notre pays. D'ailleurs, le président de la République, Kaïs Saïed, a reçu son homologue syrien dans son lieu de résidence à Djeddah et s'est dit heureux de tenir cette rencontre historique qui traduit les relations d'amitié entre les deux pays « contrairement à ce qu'avaient prétendu certains en tant qu'amis de la Syrie alors qu'ils ont participé à la souffrance du peuple syrien pendant des années » d'après le texte du communiqué. La référence est claire à ce qui s'est passé en 2012. Cette rencontre semble couronner les efforts entrepris récemment par la Tunisie pour renouer les liens diplomatiques entre les deux pays à travers, notamment, la nomination d'un ambassadeur à Damas et la réouverture de la représentation diplomatique syrienne en Tunisie.
Le 32e sommet de la ligue arabe devrait traiter, de manière générale, les enjeux du commerce interarabe, du climat et les défis reliés à l'énergie et à l'approvisionnement. Il n'y a pas de décisions révolutionnaires attendues lors de ce sommet. Néanmoins, ce type de sommets reste une bonne occasion pour des pourparlers et des efforts diplomatiques et politiques qui se font en marge des travaux officiels. La Tunisie a actuellement besoin du soutien des partenaires arabes. Pour l'obtenir, il va falloir la jouer fine et surtout clarifier la position officielle tunisienne sur plusieurs sujets. La balle est dans le camp de la délégation tunisienne.