La Tunisie retrouve, peu à peu, son image d'avant-révolution avec un régime répressif, des libertés bafouées, une justice en manque d'indépendance et des communiqués dénonciateurs d'organisations étrangères. Le dernier en date est celui du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme. Et si l'Onu s'inquiète de ce qui se passe en Tunisie, c'est que forcément il y a quelque chose d'inquiétant. On ne parle plus de puissances étrangères néo-colonialistes, de médias corrompus, d'ONG traîtresses et d'opposition intéressée, on parle de l'ONU svp ! Ce que dit l'ONU ne diffère, en rien, de ce que nous disons depuis des mois. Pourtant, en dépit de l'évidence de la situation dans laquelle on vit, notre ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, a eu le culot de pondre un communiqué incendiaire pour remettre le Haut-Commissaire à sa place. Un communiqué rempli de contrevérités, de déni et d'ego surdimensionné et déplacé. Un communiqué qui dénote de la stupidité et de l'étroitesse de vision de son sinistre rédacteur. Ce communiqué est affligeant et ceci doit être dit et crié haut et fort, car il dénie aux Tunisiens leurs droits fondamentaux de vivre dans un pays libre, juste et démocratique. Le président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, Bassam Trifi, n'a d'ailleurs pas manqué d'épingler le ministre dans une excellente interview menée par la talentueuse Khouloud Mabrouk sur IFM.
Bassam Trifi a rappelé les multiples violations de droits de l'Homme sous ce régime. Inutile de revenir sur le sujet, nous l'avons fait des centaines de fois sur Business News, la presse internationale l'a fait et les ONG de tous bords l'ont fait. Ce qu'a pondu Nabil Ammar s'assimile à un mensonge d'Etat. Ce qu'il a pondu évoque, toutes proportions gardées, à ce que disaient Goebels et Von Neurath pour défendre Hitler ; et Mohamed Saïd Al Sahhaf et Tarek Aziz pour défendre Sadam Husseïn. Il n'est pas interdit de défendre un régime despotique, chacun est libre de défendre ce qu'il veut, mais il n'est en aucun cas permis de déformer la réalité et de tordre la vérité. C'est là le mal qu'a fait Nabil Ammar avec son communiqué dénonçant celui de l'ONU. Il insulte l'intelligence de l'Onusien et des Tunisiens. Il renie, en notre nom, nos propres droits. Il profère ouvertement et publiquement des contrevérités. Le même Nabil Ammar est sur le point, en ce moment, de signer un accord avec l'Union européenne, toujours en notre nom, tout en reniant à ses concitoyens le droit de connaitre les termes de cet accord. Comme si la chose ne les regardait pas, comme si la Tunisie était sa ferme personnelle.
Ce que fait Nabil Ammar est classique sous les régimes despotiques. L'Histoire a retenu les noms de certains d'entre eux, comme Al Sahhaf et Goebels, et a jeté aux oubliettes leur majorité. Ce qui est étonnant, c'est qu'en dépit des centaines d'exemples du passé, y compris dans l'Histoire la plus récente, que ce soit en Tunisie ou à l'étranger, il existe encore des gens qui ne retiennent pas les leçons de ce passé. Ils continuent à agir comme s'ils étaient éternels, comme s'ils détenaient le pouvoir absolu pour toujours, comme s'il n'y aura pas un jour où ils vont devoir rendre des comptes. Je n'arrive pas à comprendre comment un homme, comme M. Ammar, ne puisse pas se projeter dans l'avenir, ne serait-ce que trente secondes. Ne voit-il pas le sort qui a été réservé à ses prédécesseurs ? Ne voit-il pas ce qui est arrivé aux anciens ministres des régimes despotiques, qu'ils soient tunisiens ou étrangers ? Ne voit-il pas le sort réservé à ceux qui ont tourné le dos à leur peuple pour servir, aveuglément, leur maître ? Ne connait-il pas le célèbre proverbe arabe « لو دامت لغيرك لما الت إليك » (si elle avait perduré pour les autres, tu ne l'aurais jamais eue) ? En s'attaquant à l'ONU, Nabil Ammar passe à une dimension internationale, il ne se suffit plus d'insulter ses compatriotes et leur intelligence. Pour plaire à son chef, il se tire une balle dans le pied. Demain, puisqu'il y aura forcément un lendemain, Nabil Ammar aura des comptes à rendre en Tunisie, exactement comme ses anciens collègues qui l'ont précédé. Si certains de ces ex ont réussi à fuir à l'étranger pour vivre en exil, lui risque de se priver de cette option avec ses communiqués agressifs, outrageants et mensongers.