La visite de la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni à Tunis, a suscité les interrogations. Pourquoi maintenant et qu'est-ce qu'elle apporte à la Tunisie ? Le pays serait-il devenu un pion dans la campagne électorale de la dirigeante italienne ? Mme Meloni est maintenant une habituée de Carthage. Elle a effectué quatre visites en Tunisie en moins d'une année. Accompagnée de deux de ses ministres pour cette visite annoncée il y a un bon moment, la dame n'est restée sur le sol que deux petites heures. Le temps d'échanger quelques mots avec le président de la République, de signer des accords et de donner une déclaration express sans journalistes, c'était plié. La responsable italienne a fait un saut à Tunis entre deux avions, elle est repartie directement à Bruxelles. Pour l'ancien diplomate Abdallah Laabidi, ceci ne pourrait être qualifié de visite d'Etat, puisqu'une visite d'Etat obéit à un protocole et des normes particulières : « Meloni n'a passé en Tunisie qu'à peine deux heures avant de se rendre à Bruxelles. La Tunisie a été exploitée dans la campagne électorale européenne », a-t-il affirmé. M. Laabidi assure qu'il s'agit en réalité d'une externalisation de la question migratoire. Il a ainsi souligné que la Tunisie n'a de fait tiré aucun profit de cette visite et que les accords conclus sont en contradiction avec le discours officiel de la Tunisie selon lequel la Tunisie refuse d'être un garde-frontière de l'Europe. L'ancien diplomate considère, dans ce cadre, que les trois accords conclus étaient une sorte de chantage et que certains de ces accords n'avaient rien d'inédit et n'étaient donc pas nouveaux. Il a enfin assuré que les financements promis par Meloni sont tributaires d'un accord avec le Fonds monétaire international (FMI). L'ancien diplomate n'est pas le seul à avoir relevé la vacuité de cette visite en plus des contradictions avec les annonces faites par le pouvoir tunisien.
Depuis que l'imminente visite de la Première ministre italienne a été ébruitée, le président de la République avait multiplié les déclarations enflammées concernant la souveraineté de la décision tunisienne et de l'importance de traiter sur un même pied d'égalité avec les autres pays. Kais Saïed avait convoqué son ministre des Affaires étrangères pour faire passer le message et il a encore abordé la chose lors du conseil de sécurité. Il a asséné encore et encore que la Tunisie ne céderait pas aux pressions et s'opposerait à toute ingérence dans ses affaires. Il a réitéré que la Tunisie refusait d'être un point de passage ou un lieu d'établissement pour les migrants irréguliers. Les accords signés au cours de la visite express, notamment un appui financier italien au budget de l'Etat, n'a pourtant rien de gratuit. Quand on connaît les intentions de Meloni concernant la Tunisie qui se transforme à grand pas en gardienne de ses frontières, rien n'est tout à fait fortuit et surtout cela ne colle pas avec les déclarations enflammées.
Les organisations tunisiennes ont d'ailleurs soulevé les contradictions entre les discours officiels et la réalité des faits. Une manifestation a été organisée le jour de la visite devant l'ambassade italienne à Tunis pour dénoncer les politiques inhumaines menées en connivences avec les autorités tunisiennes. Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) a par exemple dénoncé les violations dont sont victimes les immigrés tunisiens, rappelant que l'Italie a mobilisé plus de 500 vols charters pour expulser les immigrés tunisiens sans avertir la partie tunisienne, et que les Tunisiens représentent toujours la principale nationalité détenue dans les centres d'expulsion italiens puis expulsés de force malgré la condamnation de la Cour européenne des droits de l'Homme. En plus des violations des droits humains les plus élémentaires, le FTDES a dénoncé les « voies de coopération injustes » sur la question migratoire, considérant qu'elles ont « mis les droits et la dignité des immigrés aux enchères en échange d'un soutien économique et politique ». C'est ainsi que plusieurs organisations estiment que les dirigeants européens, et en particulier Giorgia Meloni, ne peuvent être considérés comme des partenaires fiables puisque soutenant les approches « racistes et génocidaires ». « Giorgia Meloni considère la Tunisie uniquement comme un point frontalier avancé qui nécessite de renforcer le contrôle pour empêcher les arrivées en Italie, quel que soit le coût humanitaire. Elle en a besoin comme d'une carte électorale, en Italie et en Europe, pour promouvoir le succès du modèle pour stopper l'immigration » a indiqué le FTDES. La dirigeante italienne est en effet en campagne pour les européennes et sa visite éclaire n'avait d'autre but que de consolider sa position comme figure de proue de l'externalisation du 'problème' sur les terres non-européennes. Derrière les sourires et les amabilités, il y a l'objectif de montrer que le plan Mattei pour l'Afrique se concrétise. Un plan porté par le gouvernement italien et où la Tunisie a un rôle central à jouer. A travers sa relation privilégiée avec le président de la République, Giorgia Meloni a fait de la Tunisie un pays-test de cette politique. Et puis, avec l'arrivée du beau temps, le flux migratoire depuis la Tunisie est susceptible de s'accroitre rapidement. Les conditions climatiques favorables aux traversées clandestines coïncident avec les élections européennes. Mme Meloni voudrait éviter à tout prix de nouveaux pics d'arrivées dont les conséquences seraient politiquement néfastes pour elle. Il ne faudrait surtout pas que la pertinence de ses manœuvres en Tunisie soit remise en cause.
Une visite express intrigante ? Pas tant que cela. La Tunisie n'est qu'une carte à jouer pour Giorgia Meloni. Mais gare à celui qui oserait évoquer de ce côté sud de la méditerranée un frein à la souveraineté nationale.