Le président de la République, Kaïs Saïed, a, semble-t-il, choisi de ne pas s'exprimer à propos de la récente polémique liée au fait que l'Instance des élections a choisi de ne pas appliquer les décisions du tribunal administratif concernant la liste finale des candidats à l'élection présidentielle du 6 octobre. Pendant que la scène politique est préoccupée par l'intégrité du processus électoral, le chef de l'Etat multiplie les rencontres avec les ministres avec un maitre-mot : le complot. Hier, 3 septembre 2024, le président de la République, Kaïs Saïed, a reçu le ministre du Commerce, Samir Abid. Il a été question de la hausse des prix et particulièrement des prix de la viande de volaille « qui ont augmenté de façon inédite », d'après le communiqué de Carthage. Le président a également évoqué des produits comme le sucre et le café qui « apparaissent de façon surprenante dans certaines régions et disparaissent rapidement dans d'autres ». Le président a rappelé que l'Etat avait le droit de plafonner les prix de plusieurs produits et se doit de trouver des solutions à cette « situation anormale » et appliquer la loi sur le monopole et la spéculation. Il a également demandé aux appareils de l'Etat d'affronter les spéculateurs et ceux qui maitrisent les circuits de distribution qui ont « ouvert d'autres circuits non pas pour réaliser des gains illicites mais pour des objectifs criminels connus surtout en cette période ». Il faut comprendre ici qu'il s'agit de la période pré-électorale. Coutumier du fait, le président de la République considère qu'il existe des forces obscures qui agissent sur les prix des denrées alimentaires pour envenimer la situation avant l'élection présidentielle du 6 octobre. Encore une fois, Kaïs Saïed explique la situation par l'existence d'un complot et accuse les spéculateurs malgré le fait que la sévère loi censée lutter contre le monopole et la spéculation est entrée en application depuis le 20 mars 2022, soit il y a plus de deux ans. Pourtant, les prix continuent d'augmenter, l'inflation concernant les produits alimentaires est à deux chiffres et le pouvoir d'achat du Tunisien est en érosion. Ceux qui ont des notions, même basiques, d'économie et de commerce savent que la politique de l'Etat en la matière est défaillante. Les décisions de plafonnement des prix, pratiquées concernant plusieurs produits, n'ont pas aidé à assurer l'approvisionnement. La logique est simple : quand le prix plafond ou la marge réglementaire ne suffit plus pour assurer un minimum de gain au commerçant, celui-ci abandonne le produit en question et il devient de plus en plus difficile de le trouver sur les marchés. Brahim Nefzaoui, président de la chambre nationale des marchands de volailles et de viandes blanches, avait alerté, dans une déclaration à IFM le 19 août 2024, contre la décision de plafonnement des prix. Il a expliqué que le plafonnement des prix ne s'appliquait qu'aux détaillants et aux abattoirs. Il a estimé que cette décision a conduit à la fermeture définitive de près de 420 détaillants à travers le pays. Donc, il semble clair qu'il n'est pas question ici de spéculateurs et de monopole, comme ce fut le cas pour plusieurs autres produits alimentaires. Toutefois, la rengaine présidentielle reste la même et on parle de complot et d'intentions criminelles surtout à l'approche de l'élection présidentielle. Une explication qui dédouane le président et même le gouvernement de toute responsabilité dans le fait que les prix des denrées alimentaires augmentent pratiquement de façon exponentielle depuis des mois. Le bulletin de l'Institut national de la statistique (INS) concernant les chiffres de l'inflation de juillet 2024 est sans équivoque : « En juillet 2024, les prix de l'alimentation augmentent de 9,4% sur un an. Cette hausse provient principalement de l'augmentation des prix des viandes ovines de 24%, des huiles alimentaires de 21,8%, des condiments de 16%, des prix des poissons frais de 12,5% et des prix des légumes frais de 9% ». Pourtant, le président parle encore de spéculateurs et de monopole. La même sauce complotiste a été servie lors de la rencontre, hier 3 septembre, avec le ministre de l'Intérieur, Khaled Nouri, et le secrétaire d'Etat à la sûreté, Sofiene Bessadok. Le président leur a demandé de se tenir prêts à mettre en échec toutes les atteintes à la sûreté de l'Etat précisant qu'il y a des indices selon lesquels « certaines parties auraient des liens avec l'étranger ». Il a enchainé en affirmant que les élections sont une affaire intérieure qui ne concerne aucune partie étrangère. Puis il a parlé de ceux qui reçoivent de l'argent et du soutien de l'étranger et prétendent être des défenseurs de la liberté et de la démocratie alors qu'il s'agit de traitres, d'agents de l'étranger et de menteurs. Comme d'habitude, aucun nom n'est cité, aucune précision n'est donnée et évidemment, pas le moindre début de preuve. Depuis que Kaïs Saïed est devenu président, on ne compte plus les communiqués ou les interventions pendant lesquelles il évoque des traitres à la nation à la solde de l'étranger qu'il faudrait maitriser. A plusieurs reprises il a évoqué des forces étrangères qui envoient des fonds en Tunisie en faveur de certaines personnes qui complotent contre l'Etat tunisien. Rien de cela n'a encore été prouvé. Toutefois, le complot permanent marche et suffit à contenter les aficionados de Kaïs Saïed surtout en cette période pré-électorale. Pour le chef de l'Etat, il faut sécuriser le processus électoral de toute ingérence et de toute influence étrangère. Pour ce qui est de l'intérieur, l'instance électorale s'occupera de sécuriser le chemin vers Carthage.