Il ne se passe quasiment pas une semaine sans que le ministère de l'Intérieur ne communique sur l'arrestation de trafiquants de stupéfiants. Face à la prolifération du fléau, l'Etat semble avoir mis les bouchées doubles pour poursuivre les barons de la drogue en Tunisie. À suivre les communiqués officiels du ministère de l'Intérieur, il semblerait que la lutte contre le trafic des stupéfiants est actuellement la priorité absolue du département. Cela n'étonne guère puisque l'ordre est venu du plus haut sommet de l'Etat. Kaïs Saïed insiste sur la nécessité de multiplier les efforts pour lutter contre le crime organisé et spécialement le trafic de drogue. En recevant le ministre de l'Intérieur Khaled Nouri et le secrétaire d'Etat chargé de la Sûreté nationale Sofiene Bessadok, le président de la République a évoqué la question de la lutte contre les stupéfiants. Rien qu'au mois d'octobre, Kaïs Saïed a abordé deux fois le sujet, le 11 et le 28 octobre.
En lisant cependant les communiqués du ministère, on remarque que ce dernier n'a pas attendu les consignes du président de la République pour agir. Loin s'en faut. Il ne se passe quasiment pas une semaine sans qu'il n'y ait un communiqué annonçant l'arrestation de trafiquants. Parfois, on fait carrément tomber des barons comme cette grosse opération menée dans la nuit de mercredi 23 à jeudi 24 octobre qui « a permis de démanteler les organisations des barons du trafic de drogue en Tunisie, liés à des réseaux internationaux de contrebande de substances narcotiques ». Cette opération a conduit à l'arrestation de quelque 205 trafiquants. Le 22 octobre, on a arrêté à Mellassine un réseau et saisi près de quinze kilogrammes de cannabis et une quantité de cocaïne. Le 19 octobre, on a arrêté à Menzel Kamel trois trafiquants présumés et saisi 426 barres de cannabis et six kilogrammes de cocaïne. Le 14 octobre, à Kasserine, on a arrêté quatre trafiquants présumés et saisi 160 barres de cannabis totalisant seize kilogrammes. Les quatre suspects appartiendraient à un réseau international. Le 2 octobre, sur l'autoroute A1, on a trouvé un trafiquant présumé à bord d'un taxi collectif (louage) avec douze mille capsules de stupéfiants en sa possession. Le même jour, le ministère annonce l'arrestation à Ben Arous de quatre trafiquants présumés, dont un étranger, appartenant à un réseau, et la saisie de 6200 capsules et quelque 71 mille dinars. Le 13 septembre, on a saisi quinze kilos de cannabis chez quatre personnes qui étaient chargées de les écouler dans les régions de Kasserine, du Sahel et du Grand Tunis. Le 6 septembre, à Ouardia, on a arrêté un couple chez qui on a trouvé des quantités importantes d'ecstasy. Après investigation et perquisition de leurs domiciles, on a trouvé 3654 dinars dans le domicile de l'homme et 500 mille dinars dans le domicile de la femme, ainsi que d'autres quantités de stupéfiants.
C'est clair, face à la prolifération de la drogue dans le pays, les différentes brigades de stupéfiants semblent bien actives. Les arrestations touchent toutes les catégories sociales. On trouve de la drogue aussi bien chez les riches que chez les pauvres et aussi bien dans les louages qu'à bord de yachts. Pour les intermédiaires, il y en a de tout, d'après nos informations. On trouve même des livreurs de restauration rapide qui offrent la marchandise à domicile. « La guerre de libération de plusieurs régions des stupéfiants continue », déclare Houssemeddine Jebabli, porte-parole de la Garde nationale, dans l'une de ses interventions publiques. Les unités de la Garde et de la sécurité nationale, avec leurs différentes spécialités, dont les renseignements, les interventions spéciales, la police, les secours et les unités d'intervention rapide, ont participé à l'arrestation des principaux responsables du trafic de drogue, que ce soit aux frontières occidentales ou dans le sud-est, selon M. Jebabli. Il précise que des activités de renseignement et d'investigation, menées dans la plus grande confidentialité, ont précédé l'arrestation de ceux qu'il a qualifiés de « requins du trafic de drogue », qui cherchent à inonder la Tunisie et sa jeunesse de drogues telles que le cannabis, la cocaïne et les comprimés psychotropes. Il a également affirmé que l'héroïne figure parmi les produits illicites les moins saisies contrairement à la cocaïne, le cannabis et l'ecstasy qui sont les produits les plus répandus pour les consommateurs en Tunisie. Aussi bien le président de la République que le ministre de l'Intérieur et le secrétaire d'Etat à la Sûreté nationale assurent le suivi régulier des opérations de terrain. Ce qui revient à dire que la lutte contre la drogue est considérée comme de la plus haute importance.
En dépit des arrestations spectaculaires, les natures et les quantités des marchandises saisies montrent que la Tunisie semble ménagée comparativement à ce que l'on voit en Europe ou aux Etats-Unis. La drogue sévit, certes, mais c'est loin d'être un fléau inquiétant. On est loin, très loin, des tonnes de cannabis et de cocaïne saisis aux ports d'Anvers (Belgique) et de Marseille. La Tunisie n'est pas non plus une terre de transit de la drogue comme c'est le cas de la Belgique ou de l'Espagne. Quant à la nature de la drogue saisie, si l'on se réfère aux propos de M. Jebabli, les substances très dangereuses ne seraient pas encore disponibles en Tunisie. Le cannabis et la cocaïne restent, bon gré mal gré, nettement moins addictogènes et toxiques que l'amphétamine et l'héroïne. Aux Etats-Unis, on enregistre chaque année plus de cent mille morts à cause de la surdose de drogue, dont la majeure partie est liée au Fentanyl, inexistant a priori en Tunisie. Cet opioïde de synthèse, cinquante fois plus puissant que l'héroïne, est fabriqué dans les laboratoires clandestins des cartels mexicains et colombiens et inonde les Etats-Unis. Les images de personnes décédées, trouvées dans les rues et les caves, sont devenues ordinaires et banales de la Floride à la Californie. On parle carrément d'hécatombe. Les Européens, relativement ménagés par le Fentanyl et les amphétamines en général pour le moment, craignent fortement qu'ils soient touchés par ce véritable fléau qui tue quotidiennement la jeunesse américaine. Ils craignent aussi que l'Europe devienne le terrain de laboratoires clandestins pour fabriquer ces drogues de synthèse. Au vu de la sévérité des lois tunisiennes, fortement répressives en matière de drogue que ce soit pour les consommateurs ou les trafiquants, et au vu du travail de terrain permanent des brigades des stupéfiants et de la douane, la Tunisie semble à l'abri des barons internationaux et des stupéfiants dangereux, comme en témoignent les différentes saisies. La majeure partie des saisies en Tunisie touche le cannabis et cette substance est aujourd'hui tolérée (à concurrence de quelques grammes pour un usage personnel) dans l'écrasante majorité des pays développés et est même autorisée dans certains d'entre eux comme le Canada, l'Espagne ou les Pays-Bas où les échoppes proposant du cannabis ont pignon sur rue.