Les arrestations et les accusations se suivent et se ressemblent. Quotidiennement, nous sommes soumis à ce chapelet de têtes plus ou moins célèbres qui tombent. Chaque cas suscite des discussions passionnées entre amis et en famille.
Régulièrement, il se trouve un ou plusieurs pour tomber à bras raccourcis sur le malheureux pour affirmer qu'un tel aurait une connaissance qui lui a confirmé que… et les rumeurs vont bon train. Les commentaires partagés sur les réseaux sont sidérants de propos haineux, d'une violence inouïe.
Ah, la schadenfreude, ce mot allemand si délicieusement complexe, que l'on pourrait traduire en arabe par chmata, n'a jamais été aussi partagé dans notre société. Ce sentiment, qui nous pousse à savourer les malheurs d'autrui, est un témoignage de notre mal-être, d'un environnement toxique… des aspects les plus sombres de notre société.
La schadenfreude, en tant que miroir de nos ombres, nous renvoie à nos propres frustrations. Actuellement, elle met en lumière une société en quête de sens, où les discours de haine et de division s'épanouissent, favorisant une culture où le malheur des autres devient une source de joie morbide pour certains.
Les conséquences de la chmata ne se limitent pas à des effets individuels ; elles fragilisent la société dans son ensemble. Une communauté qui se réjouit des malheurs d'autrui crée un climat de méfiance et d'isolement, freinant l'émergence d'initiatives.
Dans notre société et en particulier depuis quelques temps, il n'est pas rare d'entendre des figures politiques qui, tels des charognards, se nourrissent de la souffrance des autres, exploitant cette joie malsaine pour se maintenir au pouvoir. "Tous pourris" est un slogan que les populistes exploitent pour dissimuler leur incapacité à répondre aux problèmes de la société.
Se réjouir du malheur d'une personne, quand bien même elle serait en faute, est un travestissement de la justice. La justice ne doit jamais être synonyme de vengeance ou de règlement de comptes.
La présomption d'innocence ne doit pas être bafouée, notamment par ceux qui sont au pouvoir. Or, certains partis politiques et autres parlementaires, après la Révolution, ont sali et dénigré à tout va, transformant les malheurs d'autrui en un spectacle.
La joie provoquée par la chute de quelqu'un, surtout s'il est connu, est, pour les esprits chagrins, une manière de se donner un peu de consistance. Lancer des rumeurs sur ceux qui sont à terre, incapables de se défendre, est une violence inouïe. Ce phénomène ne se limite pas à la sphère politique ; artistes, sportifs, hauts fonctionnaires et hommes d'affaires de tous horizons en sont victimes, un constat alarmant qui révèle notre incapacité actuelle à bâtir une démocratie.
Dans notre société, toute réussite est suspecte aux yeux de ceux qui ont tout raté.
Certains médias ne sont pas en reste ; en exacerbant ces sentiments de revanche, ils gagnent certes des audiences, mais au prix de leur intégrité. Les images de ce journaliste, coutumier du fait, bavant sur l'honneur d'un banquier qui a été plus tard innocenté, nous hantent encore. C'est simplement odieux. Dans ce climat, la présomption d'innocence se transforme en une farce, où les vérités sont étouffées par les rumeurs malveillantes et par la parole du plus fort.
Nombreux sont ceux qui, innocents, ont été emprisonnés injustement, voyant leur réputation ruinée, victimes d'un système revanchard. Ils ne s'en sont jamais remis. Ce phénomène est souvent décrit comme une forme de justice « divine » par ceux qui se sentent lésés par un système injuste. Le plus inquiétant est que ce sentiment est instrumentalisé par des discours populistes.
Les frustrations sont compréhensibles. Le mérite n'est plus synonyme de réussite, c'est une illusion cruelle pour ceux qui luttent chaque jour pour obtenir ce qui leur revient de droit, l'accès à l'éducation ou à la santé, par exemple. Dans ce cas, le succès d'autrui peut être perçu comme le résultat d'injustices, qu'elles soient naturelles ou sociales. La loterie de la naissance est encore cruelle dans notre société. Mais dans le cadre d'une société, faire de la chmata une dynamique est destructeur. Contrairement à ce qu'ils prétendaient, ce cercle vicieux ne mène pas à plus de justice, mais nous détourne des bonnes solutions.
Nous ne changerons pas les choses en trouvant des boucs émissaires, mais en luttant en permanence contre les injustices sociales. Ces injustices, qui, tel un Phénix obscur, renaissent en permanence de leurs cendres. Lutter contre la corruption ou les passe-droits ne s'improvise pas. Les slogans et les annonces tonitruantes témoignent de l'incompétence ou de la mauvaise foi. Il est essentiel pour un système de tout mettre en œuvre pour garantir l'équité et faire en sorte que chacun devienne maître de sa destinée. Cela ne pourra être fait que si nous apprenons à cultiver la bienveillance et la solidarité et à transcender ces émotions destructrices. Pour un changement durable, il est crucial de cultiver une conscience collective valorisant la compassion et le sentiment d'appartenance à une communauté.
Nous devons réaliser que le plaisir passager de voir une personne tomber fait du mal et masque une insatisfaction, le manque d'estime de soi et une pauvreté intellectuelle.
Encourager des récits de réussites fondés sur le soutien mutuel peut transformer notre rapport aux échecs et aux succès. Cultiver la bienveillance nous libère de nos ombres et éclaire le chemin des autres. En fin de compte, chaque individu, quelle que soit sa position sociale, fait face à ses propres démons ; seuls ceux qui en prennent conscience arriveront à les maîtriser.