Se réjouir, céder à ses instincts primaires, à une inimitié compréhensible et surtout justifiée, jubiler du fait des malheurs de ses ennemis… Est-ce légitime ? L'affaire Noureddine Bhiri nous pose un cas de conscience. L'islamiste est l'un des pires parmi ses acolytes. Il a été l'une des pierres angulaires de la confrérie pour démanteler l'Etat. Il a été l'une des tentacules de la pieuvre pour étendre son influence et sa mainmise sur un butin à échelle de pays. Noureddine Bhiri a été mis au frais et une satisfaction involontaire s'est emparée d'un bon nombre de personnes. Pourquoi ? Parce que c'est un mécanisme inhérent à la nature humaine en premier lieu. Il existe un terme en allemand qui n'a pas d'équivalent dans la langue de Molière : « Schadenfreude ». Cela exprime bien ce sentiment. On peut le remplacer par « se réjouir du malheur d'autrui ». C'est le côté un peu obscur de la psyché humaine, une sorte de sadisme passif. Certains se sentiront un chouia honteux, d'autres pas du tout, surtout quand il s'agit, comme dans le cas d'espère, d'un personnage honni et qu'on voudrait voir payer pour ses innombrables méfaits.
Passé ce moment, instinctif, il est nécessaire de raisonner avec lucidité. Nous ne voulons pas vivre dans une jungle. Aux dernières nouvelles, la civilisation est passée par là. L'humanité a mis en place des mécanismes, des procédures, des institutions pour régir la Cité. Le Président n'a eu de cesse de rappeler le concept d'Etat de droit. Alors que les droits de tous soient respectés. Que Noureddine Bhiri paye à travers un procès équitable. Que les procédures ne soient pas transgressées.
Pas une once de solidarité avec Bhiri, aucune. La question ne se pose même pas. Il s'agit ici de principes à respecter, de justice qu'on veut impartiale, surtout pas comme celle mise au pas par le Bhiri en personne. Pourquoi ? Parce que les dérives d'aujourd'hui, peuvent se retourner demain contre n'importe qui, parce qu'on ne peut construire quelque chose de solide sur des abus. L'ancien ministre de la Justice doit rendre des comptes, c'est indéniable, mais dans un cadre réglementaire.
Ce n'est pourtant pas difficile de respecter les procédures. Dans ce cas, l'affaire aurait pris un cours « normal », une polémique aurait pu être évitée. Cependant, le pouvoir en place en a décidé autrement. Le crétinisme semble être la marque de la nouvelle ère. C'est l'époque ayant pour slogan : comment s'éborgner avec son propre doigt. Déjà que les craintes de dérives autoritaires sont légion, que fait le pouvoir en place en retour ? il vient les conforter. Ceux qui guettent toute occasion qui se présente pour taper sur la démarche post 25-Juillet de Kaïs Saïed, ont reçu, aujourd'hui, sur un plateau un beau cadeau de fin d'année. Les velléités victimaires des islamistes s'en trouveront galvanisées et c'est peu de le dire. Les pleurnicheries, on les entendra à n'en plus finir. Les discours hypocrites sur la défense de la démocratie et des libertés seront encore une fois réchauffés et servis à tous les plats. Les enfoirés du camp adverse s'en donneront à cœur joie. Le crétinisme du pouvoir en place les drapera, malencontreusement, d'une légitimité à laquelle, pourtant, ils ne devraient aspirer. Un cadeau inespéré.
Sur ces belles paroles (ou pas), je vous souhaite une bien meilleure année.