Le président Kaïs Saïed a reçu, le 10 décembre 2024, Ousmane Dione, vice-président du Groupe de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Lors de cette rencontre, il a réitéré son opposition aux « diktats inacceptables » imposés par le Fonds monétaire international (FMI). La conditionnalité du FMI est fréquemment utilisée comme argument par ceux qui, pour des raisons de politique intérieure, rejettent les programmes du Fonds. Cependant, une critique du FMI nécessite du courage politique : celui de présenter aux citoyens les défis auxquels le pays est confronté et de mobiliser leur soutien pour une alternative crédible.
Dans le cas de la Tunisie, il suffit de se référer aux derniers indicateurs notamment sur la croissance, le chômage, l'inflation et la dette publique pour conclure que la politique alternative de « compter sur soi » ne comporte que des solutions temporaires qui ne sont pas de nature à résoudre les problèmes structurels de l'économie et assurer une croissance forte soutenable[1].
Revenons au FMI et à ses diktats. Ça peut surprendre certains, mais il faut savoir que le Fonds lui-même a été toujours conscient des limites de sa conditionnalité et qu'il conduit des revues régulières, avec la coopération des pays membres, pour améliorer ses politiques, et les adapter aux changements, tout en tenant compte des spécificités de chaque pays.
Le FMI a franchi une étape supplémentaire en introduisant, au profit des pays émergents, une politique de soutien massif sans conditionnalité/diktats. Ce soutien financier est réservé aux pays présentant des fondamentaux économiques très solides[2] [3]. Pour être éligible, un pays doit monter, dans le cadre de l'exercice de consultation annuelle (suspendu par la Tunisie depuis 2021), qu'il a une expérience soutenue dans la mise en œuvre de politiques très solides et un engagement à les maintenir à l'avenir. Ce financement prend la forme d'une ligne de crédit que le pays peut mobiliser à tout moment pour faire face à un choc susceptible de déséquilibrer ses finances et de compromettre ses perspectives de croissance.
Les montants engagés par le FMI dans ce cadre sont considérables. À la fin du mois de novembre 2024, ils s'élevaient à plus de 60 milliards de dollars, engagés avec cinq pays (Chili, Colombie, Jamaïque, Mexique et Maroc), représentant ainsi 40 % du total des engagements du Fonds envers les pays émergents. La moyenne par pays est également élevée, atteignant 10 milliards de dollars par ligne de crédit sans conditionnalité, contre une moyenne de seulement 3 milliards de dollars pour les programmes traditionnels assortis de conditionnalité[4].
Le Maroc a été reconnu par le FMI comme disposant de fondamentaux économiques très solides, ce qui lui a permis d'être éligible à ces facilités sans conditionnalité depuis 2018. En 2020, le pays a mobilisé 2,8 milliards de dollars pour faire face au choc provoqué par la pandémie de COVID-19. En 2023, il a négocié une nouvelle ligne de précaution d'un montant de 4,8 milliards de dollars[5].
Ce que beaucoup ignorent, c'est que la Tunisie, par l'intermédiaire de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), a joué un rôle pionnier en attirant l'attention du FMI sur la nécessité de créer ce type de facilité de précaution sans conditionnalité. L'objectif était de permettre aux pays de mieux gérer les chocs exogènes dont ils pourraient être victimes. La crise financière internationale de 2007 a accéléré l'approbation de ce mécanisme, qui a été officiellement adopté en 2009.
La Tunisie avait manifesté un intérêt pour bénéficier de cette facilité afin de soutenir son programme de réformes, notamment en matière de libéralisation des opérations en capital. Les services du FMI avaient mené une évaluation approfondie, dont les résultats étaient très favorables par rapport aux pays déjà bénéficiaires de ce dispositif. Mais tout a basculé avec la révolution de 2010.
[1] Pourquoi l'économie tunisienne roule en 4CV ? [2] Flexible Credit Line - FCL [3] Precautionary and Liquidity Line - PLL [4] Active IMF Lending Commitments as of November 30, 2024 [5] Morocco: Financial Position in the Fund as of November 30, 2024