Jeudi 20 février, une grève générale a été massivement observée à Om Larayes, au sud-ouest de la Tunisie. La grève intervient à la suite d'un tragique accident de la route survenu sur la route régionale n° 201 reliant la délégation d'Om Larayes et Redeyef du gouvernorat de Gafsa. Le bilan de l'accident est de six morts et neuf blessés dont certains sont en état grave. Un poids lourd et un bus d'une entreprise publique en direction de Sfax, partant d'Om Larayes, se sont violemment percutés, provoquant un carnage. Les images de l'accident, choquantes et difficiles à regarder, témoignent de la violence de la collision. En dépit de la gravité de la situation, aucun responsable gouvernemental ne s'est déplacé dans la région pour rendre visite aux blessés et présenter des condoléances aux familles endeuillées, ce qui a suscité la colère des habitants de la région qui voient en cela un véritable mépris du pouvoir central.
Une colère qui s'étend dans le pays Vendredi 21 février, non loin d'Om Larayes, les habitants de Redeyef sont, une nouvelle fois, descendus dans la rue, appelant le gouvernement à améliorer leurs conditions de vie en garantissant à la région des services essentiels assurant dignité et sécurité. On voit les manifestants brandissant des pancartes épinglant le slogan présidentiel de la construction et l'édification en se demandant où sont ces belles paroles sur le terrain. Toujours dans la même région, à Gafsa, les avocats, les syndicalistes, les étudiants de l'UGET et la Ligue des droits de l'Homme appellent, pour mercredi 26 février, à une journée de colère régionale, annoncée en guise de protestation contre la crise profonde qui affecte la région en raison de la détérioration de l'infrastructure délabrée, du taux de chômage élevé, de la dégradation des services de santé et de la pollution environnementale. Un peu plus au nord, à Kairouan, les étudiants ont organisé jeudi dernier un rassemblement de protestation après le décès de leur camarade, suite à une méningite, suivie d'une difficulté d'accès aux soins médicaux et de la négligence de responsables régionaux, dont le directeur du foyer où il a été admis.
Bien avant tout cela, on a enregistré durant les dernières semaines plusieurs immolations par le feu de citoyens désespérés dans des institutions publiques. Il y a un peu plus de deux ans, Zarzis a enregistré un drame ayant conduit à la disparition de 18 citoyens ayant tenté une traversée clandestine de la Méditerranée vers l'Europe.
Le mépris du pouvoir central Deux points communs relient tous ces drames : ni le président de la République ni aucun de ses ministres n'ont daigné faire preuve de respect à ces disparus et se déplacer sur place pour présenter les condoléances de l'Etat et manifester l'empathie des dirigeants. Absolument aucun, nos gouvernants préfèrent rester sur place à Tunis et ne se déplacent dans les régions que pour faire de la propagande ou inaugurer des projets. Deuxième point commun de tous ces drames, il y a une grande colère des populations de ces régions qui s'estiment totalement méprisées par le pouvoir central. Tout cela est factuel, il n'y a ni analyse, ni conclusion et encore moins d'acharnement contre Kaïs Saïed et son gouvernement. Dans n'importe quel pays qui se respecte, ou du moins qui respecte sa population, un drame qui survient dans une région suscite le déplacement dans la journée du ou des ministres de tutelle. S'il s'agit d'un grand drame, comme celui de Zarzis ou d'Om Larayes, c'est le président de la République qui se doit de se déplacer. Il s'agit là d'un cours de 1ère année de sciences politiques. Il s'agit d'un devoir du gouvernant envers le gouverné. En matière de devoirs, le pouvoir actuel semble aux abonnés absents, il ne sait que gloser sur des projets mirifiques (comme la cité médicale de Kairouan) ou voués à l'échec (comme les sociétés communautaires).
Des discours creux et un vide politique Absent sur le terrain pour manifester une quelconque compassion envers les morts de son pays, Kaïs Saïed ne fait que ce qu'il sait faire de mieux : donner des leçons, en « bon » enseignant universitaire qu'il était.
Dans les différentes rencontres qu'il a avec ses ministres, il y a deux formules qui reviennent très souvent. La première est de désigner des boucs émissaires (parfois mystérieux) d'être derrière une crise, un échec ou un complot. Ce n'est jamais lui le fautif, c'est toujours les autres. Une fois ce sont les spéculateurs, une autre ce sont les hommes d'affaires, d'autres ce sont des politiciens véreux à la solde de l'étranger. Pour cette période, ce sont les banques qui sont dans sa ligne de mire. La deuxième formule chère à Kaïs Saïed est de dire inlassablement à ses ministres qu'il faut des idées neuves. Pour lui, les politiques anciennes ont démontré leurs limites et il faut une vision nouvelle. Tout cela est bien beau, mais quelles sont ces idées ? C'est à lui de les trouver ou à ses ministres ? Constitutionnellement, ses ministres sont là pour exécuter la politique que fixe le chef de l'Etat. Or le chef de l'Etat lui-même n'a pas de politique et demande, régulièrement, à ses ministres de lui trouver des idées.
Un bilan proche du néant À ce jour, et depuis le 25 juillet 2021, le président n'a ramené aucune idée véritablement neuve et viable. Ses idées des entreprises communautaires ou de la commission de réconciliation ont été un échec cuisant. Il s'est déplacé au stade d'El Menzah et a ordonné sa reconstruction. Le stade a été démoli et n'a toujours pas été reconstruit. Vous pariez combien qu'il ne le serait pas d'ici la fin de son mandat ? Le seul projet présidentiel qui a abouti est la réfection de la piscine municipale (je dis bien municipale) du Belvédère, mais ce projet ressemble davantage à du racket d'Etat qu'à un projet d'Etat puisque celui qui l'a financé est la Biat dont l'un des actionnaires de référence croupit en prison depuis le 7 novembre 2023. Le plus grand projet de Kaïs Saïed est la cité médicale de Kairouan dont il parle depuis 2020 et qui a fait l'objet de plusieurs conseils de ministres, mais qui attend encore la construction de la première pierre. À entendre le président de la République, cette cité créera quelque 50.000 emplois. Vous pariez combien que ce projet ne verrait pas le jour d'ici la fin de son mandat ?
Un président en décalage total avec la réalité C'est un fait, le chef de l'Etat affectionne les discours pompeux et les vagues phrases qui ne veulent rien dire ou non adaptées à la réalité. C'était le cas avec les 13.500 milliards de l'argent soi-disant dérobé, avec les spéculateurs, avec les sionistes et les francs-maçons, les puissances étrangères qui nous veulent du mal, avec les sociétés communautaires et j'en passe. Mais concrètement, qu'a-t-il fait ? Concrètement, il ne quitte son bureau que pour des bains de foule et des visites cavalières et trompeuses à des institutions publiques ou privées. On se rappelle encore comment il a ordonné à un vigile le rétablissement de l'eau courante dans une région alors que les barrages étaient quasiment à sec. Concrètement, il dit qu'il faut changer de politique, alors que son gouvernement ne fait qu'appliquer les anciennes politiques de ses prédécesseurs. Concrètement, il a tourné le dos au FMI et répète des dizaines de fois qu'on doit compter sur soi, mais son gouvernement est en train de quémander des donations et des crédits à des taux usuriers à des banques internationales.
La marmite bout… Paroles, paroles. « Encore des mots toujours des mots, les mêmes mots. Je ne sais plus comment te dire. Rien que des mots », chantait Dalida face à Alain Delon. À un moment, les gens n'en peuvent plus des mots et veulent du concret. Et ce concret ne vient pas. Même pas une visite empathique de quelques centaines de kilomètres à Om Larayes ou Zarzis pour présenter des condoléances à une population désemparée. Le même qui a pris l'avion pour aller à Téhéran et Abou Dhabi pour présenter ses condoléances à des dictateurs. Comment peut-on qualifier cette politique ? Du mépris ? De la nonchalance ? De l'amateurisme politique ? D'absence totale d'empathie à ses concitoyens qui l'ont élu à plus de 90 % ?
Le résultat est que ces gens qui n'en peuvent plus des mots commencent à prendre conscience de la supercherie présidentielle qui dure depuis 2021. Et quand on s'aperçoit qu'on a été leurrés et trompés et qu'on sent qu'on est méprisés, on ressent de la colère. Certains s'immolent par le feu, d'autres manifestent et d'autres observent une grève. Politiquement, cela porte un nom : la marmite est en train de chauffer. Historiquement, quand ces régions de Gafsa se mettent en colère, le pire est à craindre pour les gouvernants. Je m'arrête là, le message est clair.