À l'instar de tous les pays musulmans, la Tunisie célébrera ce week-end la fête de l'Aïd Esseghir. Une fête religieuse synonyme de joie, de pardon et d'amour. Cette célébration ne sera pas la même pour tout le monde, cependant. Des dizaines de personnalités tunisiennes, hommes et femmes, croupissent en prison, simplement parce qu'elles sont dans le viseur du régime despotique de Kaïs Saïed. Business News pense fortement à ces politiciens, hommes d'affaires, hommes de médias et militants des droits de l'Homme.
La justice a des fondamentaux, les mêmes partout dans le monde. Deux de ces fondamentaux sont : - « La règle, c'est la liberté ; l'exception, c'est la détention. » Il s'agit là d'un principe fondamental du droit pénal moderne, plus précisément du droit de la procédure pénale. Ce principe de justice n'a pas une origine unique avec un auteur bien identifié, mais il est largement reconnu comme un principe issu de l'esprit des Lumières, consolidé ensuite dans les textes fondateurs des droits de l'Homme. L'esprit de cette règle remonte à des penseurs comme Cesare Beccaria, auteur du traité Des délits et des peines (1764), et Montesquieu, dans L'Esprit des lois (1748). Beccaria défendait l'idée d'une justice humaine, proportionnée, et d'un recours très limité à l'incarcération. Montesquieu, lui, insistait sur la séparation des pouvoirs et la protection des libertés. - « Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées. » Ce principe de la présomption d'innocence est tiré de l'article 11-1 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (ONU, 1948).
Une justice piétinée par le pouvoir Ces deux principes universels de justice sont largement bafoués en Tunisie, aussi bien avant la révolution qu'après, mais également depuis le 25 juillet 2021, date du coup de force réalisé par Kaïs Saïed qui clame haut et fort qu'il est un homme de droit respectueux de la justice. Alors que des millions de familles s'apprêtent à célébrer l'Aïd Esseghir dans la joie et la bonne humeur, des dizaines d'autres le vivent comme un véritable cauchemar qui dure depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Ces familles ont un des leurs en prison, non pas parce qu'il a commis un crime, mais simplement parce qu'il est une personnalité politique, médiatique, associative ou du monde des affaires dont le seul tort est de s'être mis à dos le régime despotique de Kaïs Saïed. Certains le sont pour une déclaration malheureuse, d'autres pour s'être opposés au régime et avoir réfléchi à des moyens de s'en débarrasser. D'autres encore pour avoir défendu et aidé des migrants, et d'autres enfin, tout simplement parce qu'ils sont riches.
La justice des réseaux sociaux Si ces personnalités sont en prison, c'est d'abord et avant tout parce qu'elles sont connues et qu'elles ont été ciblées par des campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux. Sensible à ce qui s'y dit, le régime a usé et abusé de populisme en procédant à l'arrestation de ces personnalités, les livrant ainsi à la vindicte populaire. Sur ces réseaux sociaux, la présomption d'innocence est inconnue et la détention est la règle. « S'il n'a rien fait, il sera libéré », répète-t-on inlassablement, sans jamais remettre en doute qu'ils sont de simples gogos. Ils s'abreuvent avec délectation du malheur des autres, simplement parce qu'ils sont différents et qu'ils ont brillé. Clairement en déficit de légitimité et de résultats probants, le régime veut gagner du crédit auprès des masses populaires qu'il manipule à foison, en leur désignant des boucs émissaires comme étant la source de tous leurs malheurs.
Le président et sa mainmise sur la justice Si Kaïs Saïed respectait les règles fondamentales de la justice, il ne se serait pas immiscé dans le système judiciaire. Il a beau le nier farouchement, les magistrats crient haut et fort, à travers leur association, que la justice est malade et à la botte du régime. Même constat du côté de centaines de politiciens, d'observateurs politiques et de médias indépendants, dont Business News. Si Kaïs Saïed et ses fous furieux sur les réseaux sociaux respectaient les règles fondamentales et universelles de la justice, on aurait respecté la présomption d'innocence de ces personnalités détenues, et on aurait fait en sorte qu'elles attendent leur procès à l'extérieur, en étant libres (la règle), et non en prison (l'exception).
Un procès biaisé dès le sommet de l'Etat Kaïs Saïed bafoue largement ces règles et ne pense qu'à abreuver ses aficionados. Il a beau affirmer qu'il ne s'immisce nullement dans la justice, ses propres déclarations prouvent le contraire. Jusqu'à la semaine dernière, lors de la réunion du Conseil de sécurité nationale tenue le jour de la fête de l'indépendance, il a évoqué l'affaire de complot contre l'Etat, alors qu'on est en plein procès. Comment les juges peuvent-ils décider librement si le président de la République a déjà attesté de la culpabilité des prévenus, et que ses partisans les lynchent nuit et jour sur les réseaux sociaux, ainsi que dans certains médias propagandistes qui ont piétiné leur déontologie pour être à la solde du régime ?
Un Aïd sans justice ni pardon Les Tunisiens ont beau être joyeux en ce jour de l'Aïd, le fait est que la joie ne touche pas tout le monde. Loin s'en faut. Ces dizaines de familles dont les leurs sont en prison subissent une triple injustice. La première est qu'ils ont un membre qui leur est cher, injustement incarcéré sur simple décision politique. La deuxième est qu'ils sont lynchés continuellement par des hordes d'assoiffés de sang. Et la troisième est qu'ils ne voient pas le bout du tunnel, puisque le président de la République ne semble pas flancher. Cette année encore, leur Aïd ne sera pas synonyme de joie et de pardon.
Nizar Bahloul
Liste des personnalités médiatiques en prison Sonia Dahmani, Borhen Bssaïs, Mourad Zeghidi et Chadha Haj Mbarek
Liste des personnalités du monde des affaires en prison (non exhaustive) Mohamed Frikha ; Ridha Charfeddine ; Riad Ben Fadhel ; Lotfi Ali ; Marouen Mabrouk ; Maher Chaâbane ; Youssef Mimouni ; Samir Jaïeb ; Abdelaziz Makhloufi ; Ali Ghedamsi (décédé en prison).
Liste des militants des Droits de l'Homme en prison Mohamed Jouou ; Abdallah Said ; Imen Ouardani ; Saadia Mosbah ; Sherifa Riahi ; Saloua Ghrissa ; Iyad Bousselmi ; Abderrazak Krimi ; Mustapha Jemali ; Mohamed Iqbal Khaled ; Rached Tamboura.