En Tunisie, le propos est récurrent et n'a jamais disparu du discours politico-économique, depuis l'indépendance du pays jusqu'à nos jours. Le crédo de tous les gouvernants qui se sont succédé tout au long de l'histoire économique contemporaine de ce pays est que la dimension sociale du développement ne peut se concevoir sans le substrat qui la fonde : son développement économique. C'est la croissance économique qui produit les avancées sociales. Créer des richesses d'abord. Les distribuer équitablement ensuite. Cette profession de foi, Mme Sarra Zaâfrani Zenzri, la Cheffe du gouvernement, l'a faite sienne, elle aussi. Par deux fois, au cours de deux Conseils ministériels tenus à la fin du mois de juillet 2025, l'un consacré « au suivi de l'élaboration du projet de Loi de finances pour l'année 2026 » et l'autre « à l'examen des premières orientations du budget économique pour l'année 2026 », la Cheffe du gouvernement fit référence à la double dimension économique et sociale du développement, y ajoutant à l'occasion « conformément à la vision du Président », formule qu'on croyait disparue et qui, curieusement, refait surface. Cependant, l'approche du gouvernement semble à rebours de ce qui est communément admis, à savoir le primat de la croissance économique. Or, celui-ci semble céder la place à l'exigence de satisfaction immédiate des attentes sociales, et peu importe le prix. Tel que présenté par les communiqués issus des deux Conseils ministériels, le déroulé des priorités assignées au projet de Loi de finances et au Budget économique en constitue une illustration.
Inversion des séquences On n'est d'ailleurs pas à la seule inversion. La séquence Plan mobile de développement – Budget économique – Loi de finances et Budget de l'Etat est, elle aussi, inversée. Le projet de Loi de finances est en cours d'élaboration alors qu'on étudie les premières orientations du Budget économique et que l'on traite encore la fixation des objectifs du Plan de développement 2026-2030. Cependant, le plus grave est l'absence totale de bilan. Bilan d'exécution de la Loi de finances 2025, bilan de réalisation du budget économique 2025 et bilan du plan de développement 2023-2025. C'est que les principaux indicateurs macroéconomiques de mi-parcours servant à cerner le profil de la situation socioéconomique en année pleine ne seraient publiés que dans deux semaines au plus tôt. Des bilans préliminaires en quelque sorte. Bilans dont il convient de tirer les enseignements en dégageant les atouts et les obstacles, les réussites et les échecs, et construire en conséquence une vision et des projets raisonnablement ambitieux. Hormis cela, le pays ne fera que du surplace.
Un exemple frappant : l'E-Santé À cet égard, un exemple reflète cet état de fait : le programme E-Santé. Ce programme, qui vise d'une part à moderniser et sécuriser le système d'information des établissements de santé, d'autre part à mettre en place cinq plateformes de consultation à distance et promouvoir la télémédecine en général, a fait l'objet d'un accord de crédit avec l'Agence française de développement (AFD) d'un montant de 27,3 M€, accord conclu en… février 2019. Un accord qui n'a été adopté par l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) qu'en janvier 2020 et promulgué un mois plus tard. Ce programme E-Santé devait être réalisé au plus tard le 31 décembre 2023, et le décaissement de la dernière tranche du crédit fixé au 30 juin 2024. Au bout du compte, seulement 16 % du crédit ont été décaissés à la fin des délais impartis. Autant dire que le programme E-Santé a végété durant toute la période. Ce n'est que le 30 juin 2025 qu'un projet de loi est déposé auprès de la commission des Finances de l'ARP, portant avenant à l'accord conclu en 2019 pour prolonger la ligne de crédit. Le projet devant être exécuté dans un délai ne dépassant pas le 31 décembre 2029, et le décaissement de la dernière tranche du crédit fixé au 30 septembre 2028. Les raisons invoquées dans le retard pris dans la réalisation du programme, telles qu'elles sont présentées dans l'exposé des motifs, tiennent aux lourdeurs des procédures administratives. Les aurait-on levées entre-temps ou s'acheminerait-on vers un « bis repetita » ? En tout cas, le projet est encore sur la table de la commission des Finances, en attente de discussion, d'adoption et de renvoi en séance plénière pour adoption avant sa promulgation. À la lumière de cet exemple, on peut s'interroger sur l'utilité de la Loi de finances, du Budget économique et du Plan de développement.