Le système universitaire tunisien a subi deux piratages successifs, ces dernières semaines. Le premier, dévoilé le 8 juillet, reste entouré d'un silence opaque. Le second, en revanche, a conduit à l'arrestation d'un élève recalé au baccalauréat. Selon le parquet du Kef, il est poursuivi pour falsification et altération de données informatiques, et risque théoriquement dix ans de prison pour chacune des huit affaires retenues contre lui. Le total est ahurissant : 80 ans de prison. Le jeune a reconnu avoir agi seul, sans intention malveillante, évoquant un « concours de circonstances ». Ses manipulations ont mis au jour les failles béantes d'un système qui prétendait être infaillible et qui a pourtant orienté des bacheliers brillants vers des filières qu'ils n'avaient jamais choisies.
Le premier coupable n'est pas l'élève Au lieu de se demander comment un gamin recalé au bac a pu pénétrer un système censé protéger les données de milliers d'étudiants, le ministère de l'Enseignement supérieur s'est retranché derrière ses procédures. Le ministre Mondher Belaïd, déjà épinglé pour son silence lors du premier piratage, se tait encore. Il n'explique rien, il ne rend de comptes à personne. L'Etat préfère s'indigner après coup que des « voleurs » soient entrés, plutôt que de s'interroger sur la porte laissée grande ouverte. Le premier coupable, ce ne sont pas les jeunes qui testent les failles, mais ceux qui ont conçu un système aussi vulnérable et qui mettent en danger nos enfants. Le ministère clame l'infaillibilité de sa machine, tout en avouant, par son silence, qu'elle a failli. Il y a là une contradiction insoutenable, déjà dénoncée par les familles et par plusieurs députés. Olfa Marouani a résumé la situation : soit ce jeune est un génie capable de contourner un système officiel et il faut le reconnaître, soit le système est fragile et il faut ouvrir une enquête. Dans les deux cas, c'est l'Etat qui est en faute, pas un élève laissé à l'abandon.
Une répression aveugle Bien sûr, le jeune doit être sanctionné : il a violé la loi et ses actes ont eu des conséquences réelles. Mais comment justifier une peine de 80 ans de prison ? La disproportion est telle qu'elle frise le ridicule. Derrière cette menace démesurée, c'est toute la logique répressive de l'Etat qui transparaît. Au lieu de poursuivre les responsables d'un système défaillant, on brandit des articles de code et un décret 54 pour faire peur. Au lieu d'assumer la faillite du ministère, on se rabat sur le maillon le plus faible : un adolescent recalé. L'Etat se protège, il se couvre, il fanfaronne de la sévérité des lois. Mais ces lois, censées protéger la collectivité, finissent par devenir un instrument d'intimidation.
Quand d'autres pays savent récupérer leurs génies Un tel cas, ailleurs, aurait été traité tout autrement. Les services de sécurité et de contre-espionnage, dans les grandes puissances, repèrent et recrutent les hackers capables de contourner leurs systèmes. Les Etats-Unis ont transformé Kevin Mitnick, ancien pirate poursuivi par le FBI, en consultant recherché en cybersécurité. Son histoire a carrément inspiré le film Cyberattaque en 2000 du réalisateur américain Joe Chapelle. Adrian Lamo, surnommé le « homeless hacker », il pénétrait les réseaux de grandes entreprises (Microsoft, Yahoo, The New York Times) et est impliqué dans le scandale Wikileaks. Poursuivi, il a collaboré ensuite avec le FBI. Sa vie a été retracée dans le roman « L'Homme sans fil », d'Alissa Wenz, paru en janvier 2022. Anonymous & LulzSec, collectif de hackers célèbres qui ont piraté des systèmes d'un bon nombre d'institutions, dont la CIA ; plusieurs de leurs membres arrêtés ont ensuite travaillé dans la cybersécurité après leur condamnation. En Grande-Bretagne, Gary McKinnon, qui avait pénétré la NASA et le Pentagone, a été défendu par une partie de l'opinion comme un « génie informatique » plus à encadrer qu'à enfermer. Aujourd'hui, les grandes entreprises et les administrations paient des « bug hunters » pour tester leurs systèmes et repérer les failles. La Tunisie, elle, préfère jeter un adolescent au rebut. Elle préfère faire peur à un gamin plutôt que de se demander ce qu'elle pourrait faire de son intelligence. Elle préfère transformer un potentiel atout en ennemi public.
Le vrai scandale Que le système tunisien ait été piraté n'a rien d'exceptionnel. Le FBI, la CIA, la NASA et tant d'autres institutions autrement plus puissantes ont déjà été victimes de jeunes pirates ingénieux. L'infaillibilité n'existe pas, même sous les cieux les mieux protégés. Le scandale est ailleurs : dans la réaction de l'Etat. Pas de communication claire, pas d'explication, pas de remise en cause des responsables. Seulement l'opacité, le silence et la répression. Au lieu d'assumer l'échec d'un système vulnérable, l'Etat se fabrique un coupable idéal : un adolescent recalé au bac, qui devient le bouc émissaire de toute une machine défaillante. C'est le même système éducatif qui n'a pas su reconnaître ce talent et qui l'a conduit à l'échec au bac, et c'est le même Etat qui le menace aujourd'hui d'une vie derrière les barreaux. Là où d'autres pays auraient vu une opportunité, nous voyons un danger. Le scandale n'est pas seulement qu'un adolescent risque 80 ans de prison, mais que l'Etat préfère sa propre impunité à l'avenir d'un jeune et, avec lui, à celui de tout un pays. On préfère broyer un génie au lieu de l'encadrer, de l'orienter et d'en faire une force pour la nation.