La 59e édition du Festival international de Carthage (FIC) a consacré, le 17 août 2025, une soirée spéciale, empreinte d'émotion, à la mémoire du cinéaste et homme de théâtre Fadhel Jaziri, figure emblématique de la scène artistique et culturelle tunisienne, disparu le 11 août dernier. En hommage posthume à cet illustre artiste, le grand écran de Carthage a projeté l'un de ses films les plus emblématiques, Thalathoun (Trente). Le public, tout comme les professionnels présents, a salué avec recueillement et admiration l'œuvre de celui qui a profondément marqué le paysage artistique national. Plus qu'une simple projection, ce fut un moment de reconnaissance et de salut, rappelant l'empreinte indélébile laissée par Fadhel Jaziri à travers sa démarche novatrice et sa vision engagée. Thalathoun, son premier long métrage en tant que réalisateur, est une œuvre documentaire cinématographique qui replonge dans la Tunisie des années 1930. Le film, fruit de six années de recherche et d'écriture, fut dédié à la mémoire de ses compagnons du Nouveau Théâtre, notamment Habib Mesrati et Raja Ben Ammar. Sorti en 2008 et projeté aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC) en 2010, Thalathoun est réalisé par Fadhel Jaziri, qui a également coécrit le scénario avec Aroussia Nalouti. À l'affiche, Rami Afana incarne Mohamed Ali El Hammi, Ali Jaziri interprète Tahar Haddad, Maher El Hefidhi joue Abou el Kacem Chebbi, et Walid Nahdi campe le rôle d'Ali Douagi. Tourné en noir et blanc, le film alterne scènes de fiction et images d'archives. Il s'ouvre sur des manifestations illustrant les débuts du mouvement syndical, avec Mohamed Ali El Hammi en figure de proue. Cette audace lui valut dix années d'exil pour avoir appelé à la destitution du gouvernement. Tout au long du récit, le réalisateur imagine des liens réels ou possibles entre Mohamed Ali El Hammi, Ali Douagi, Abou el Kacem Chebbi et Tahar Haddad. Le film brosse également le portrait d'une société tunisienne figée dans ses traditions, réfractaire à toute idée de renouveau. Dans un contexte politique particulièrement agité, ces jeunes intellectuels incarnaient un souffle réformateur et portaient des idées avant-gardistes, en avance sur leur temps. Tahar Haddad, fervent défenseur des droits humains et de l'émancipation des femmes dans une société patriarcale, fut violemment combattu. L'imaginaire poétique de Chebbi, le « jeune prodige », suscita sarcasmes, ironie et parfois même hostilité. Censure des livres, arrestations, complots : malgré leur destin tragique, ces figures historiques ont exercé une influence décisive sur la Tunisie moderne. Thalathoun incarne la vision de Fadhel Jaziri, qui a toujours cru en la capacité de la jeunesse à porter le changement. Par son œuvre, il dépasse l'esthétique pour provoquer une prise de conscience et inviter à la réflexion. Le choix de ce film pour honorer sa mémoire témoigne de l'importance de son héritage artistique engagé, et rappelle la puissance de l'art à interroger le présent à travers la mémoire collective. Ainsi, Fadhel Jaziri, qui a marqué de son empreinte la scène de l'amphithéâtre romain de Carthage avec ses plus belles créations, illumine une fois encore les planches d'un théâtre qui gardera à jamais le souvenir de ce maître du théâtre, du cinéma, de la musique et de l'art en Tunisie.