Episode 1 : Moez Chakchouk, la gifle à la Tunisie officielle Il y a des nominations qui font plaisir, et d'autres qui font mal. Celle de Moez Chakchouk appartient à la deuxième catégorie. L'ancien patron de l'ATI, de la Poste tunisienne et ministre du Transport vient d'être nommé directeur exécutif de la Fédération mondiale des organisations d'ingénieurs. Une fonction internationale prestigieuse, à la hauteur de son parcours. Une fonction qu'il occupera… depuis Paris, puisqu'il a été poussé à l'exil par une cabale judiciaire digne d'une mauvaise pièce de théâtre. Car rappelons-nous : Chakchouk, ingénieur brillant et docteur en mathématiques appliquées, a été condamné par une justice aux ordres à une amende astronomique de près d'un milliard de dinars. Rien que ça. Un montant qui représentait le double du chiffre d'affaires de la Poste ! L'absurde érigé en verdict. Lui, qui avait signalé les irrégularités avant même de prendre la tête de l'institution, s'est retrouvé pris au piège d'un système qui punit la compétence et blanchit la médiocrité. Son histoire n'est pas un cas isolé : elle est le miroir d'une Tunisie qui maltraite ses talents. Pendant que Chakchouk s'installe à la tête d'une fédération mondiale, le pays compte ses pertes : 39.000 ingénieurs ont quitté la Tunisie, soit près de la moitié des inscrits à l'Ordre qui en compte 90.000. Vingt jeunes diplômés prennent l'avion chaque jour. Ajoutons à cela des milliers de médecins, d'universitaires, de chercheurs qui s'exilent pour exercer leur métier ailleurs. Et que reste-t-il ici ? Une élite qui se retrouve derrière les barreaux : journalistes, avocats, dirigeants d'ONG et politiciens. Bref, tout ce qui peut faire un pays fort est soit en prison, soit en exil. La promotion de Chakchouk sonne donc comme une gifle à ce régime autocratique qui préfère les loyautés aux compétences. Elle rappelle cruellement ce que la Tunisie a perdu : des décennies d'investissement dans la formation, offertes sur un plateau aux pays qui savent, eux, reconnaître la valeur de l'expertise. Et comme si l'humiliation ne suffisait pas, les réseaux sociaux ont ajouté leur couche de bêtise. À l'annonce de sa nomination, une armée de haters s'est empressée de minimiser l'événement, de lui rappeler ses "casseroles" judiciaires, et de le traiter comme un coupable. Oubliant au passage que cette justice qui l'a condamné n'est qu'un instrument. Mais c'est bien connu : il est plus facile d'insulter que de réfléchir, plus simple de salir que de reconnaître. Ces imbéciles heureux préfèrent rabaisser l'élite plutôt que d'admettre la vérité : les compétences tunisiennes brillent… mais ailleurs.
Episode 2 : La grenouille et la feuille de route « La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf »… La Fontaine n'avait sans doute pas prévu qu'un jour, sa fable s'appliquerait si bien à un conseil des ministres tunisien. Mais que voulez-vous ? Les contes ont la vie dure, surtout quand le pouvoir persiste à enfler d'illusions sans jamais tenir compte de ses limites. Deux conseils des ministres en une semaine. Deux discours fleuves. Deux litanies de promesses. Sarra Zaâfrani Zenzri a livré, le 26 août, une Loi de finances pleine de bonnes intentions : justice fiscale, rationalisation des dépenses, intégration de l'informel, lutte contre l'évasion… et, dans la foulée, recrutements massifs, soutien aux entreprises, transition énergétique, couverture sociale élargie. Bref, tout et son contraire. Puis, rebelote le 2 septembre avec la balance économique : croissance du PIB, relance des phosphates, investissements à foison, développement local, innovation, économie verte. On a changé le décor, mais pas le refrain : l'Etat promet de tout faire, tout de suite, dans un pays qui n'a plus un sou en caisse. Mais derrière l'apparat, le vide. Comment financer ces milliards promis quand l'Etat peine à payer ses fournisseurs ? Comment recruter à tour de bras alors que la masse salariale écrase déjà le budget ? Comment parler de transition énergétique quand même la Steg bloque toute transition ? La grenouille voulait se faire aussi grosse que le bœuf. Elle enfla, enfla… et finit par éclater. Le régime, lui, enfle de promesses, gonfle de slogans et se gave d'incantations. On attend juste le bruit de l'explosion.
Episode 3 : Ovation vénitienne, effacement parisien Vingt-quatre minutes d'applaudissements mercredi soir dans une salle de cinéma à Venise. Une salle debout, des drapeaux palestiniens brandis, des acteurs en larmes. « La Voix de Hind Rajab », le dernier film de Kaouther Ben Hania, a électrisé la Mostra de Venise. Une Tunisienne, une cinéaste, qui redonne visage et voix à une enfant de Gaza fauchée par la guerre. Une ovation rare, un moment d'histoire pour le cinéma tunisien. Mais si vous avez lu Le Monde, vous n'en savez rien. Le service vidéo du quotidien français réussit l'exploit de raconter la projection, de s'extasier sur les larmes et de citer les producteurs occidentaux sans jamais mentionner que la réalisatrice est tunisienne. Pas un mot sur Kaouther Ben Hania, pas un mot sur la Tunisie. Comme si le film était né spontanément dans les bureaux de producteurs hollywoodiens. Un oubli ? Un chauvinisme ? Ou ce vieux réflexe colonial qui peine à reconnaître qu'un pays du Sud peut enfanter un chef-d'œuvre ? Et pourtant, la presse internationale a salué le travail de Ben Hania, la même qui avait déjà porté Les Filles d'Olfa aux César et L'Homme qui a vendu sa peau jusqu'aux Oscars. Cette fois, elle signe un film universel, mais qui reste profondément tunisien : produit ici, sélectionné pour représenter la Tunisie aux Oscars, et porté par une voix de femme tunisienne. À Tunis, certains préfèrent insulter les élites, les jeter en prison ou les pousser à l'exil. À Paris, d'autres choisissent de les effacer des articles. Même logique, mêmes réflexes : rabaisser, minimiser, invisibiliser. Mais ni les haters locaux, ni les journalistes occidentaux ne pourront effacer les applaudissements vénitiens, ni la voix de Hind Rajab, ni le nom de Kaouther Ben Hania. L'élite tunisienne brille. Les autres n'ont qu'à s'y faire.
Episode 4 : Trump, meilleur VRP de Xi « L'ennemi de mon ennemi est mon ami », écrivait Machiavel. Donald Trump semble avoir pris la formule au pied de la lettre, sauf qu'à force d'insulter ses alliés, il finit par livrer le monde à la Chine. Cette semaine, à Tianjin, grande cité portuaire proche de Pékin, Xi Jinping a accueilli une vingtaine de dirigeants. Dans un décor verrouillé, limousines noires, bannières en russe, en chinois et en anglais, défilé militaire et banquet fastueux, tous annonçaient la couleur : la Chine veut être le centre d'un nouvel ordre mondial. À ses côtés : Vladimir Poutine (Russie), Narendra Modi (Inde), Recep Tayyip Erdogan (Turquie), Massoud Pezeshkian (Iran), Kim Jong-un (Corée du Nord)… Même Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU, est venu cautionner la photo de famille. Pékin a martelé son message : multilatéralisme, fin de la « mentalité de guerre froide », construction d'un « monde alternatif ». Dans ce décor soigneusement mis en scène, Pékin déroule une vision de stabilité et d'ouverture. Et c'est là que Trump offre, malgré lui, le contraste idéal. Sa diplomatie tient du grand écart permanent : schizophrène à souhait. En août, il a déroulé le tapis rouge à Vladimir Poutine, reçu en Alaska comme un hôte de marque malgré la guerre en Ukraine. Quelques jours plus tard, il sanctionnait brutalement New Delhi, imposant 50 % de droits de douane à l'Inde pour avoir acheté… du pétrole russe. Autrement dit, Moscou est accueilli comme un partenaire respectable, mais quiconque traite avec Moscou est puni. Cherchez la logique. Narendra Modi, humilié, n'a pas eu besoin de réfléchir longtemps : direction Tianjin, aux côtés de Xi Jinping. Ce qui devait isoler la Russie renforce en réalité le tandem Pékin-Moscou et pousse l'Inde dans ses bras. Chaque volte-face américaine, chaque incohérence de Trump se traduit par un gain net pour la Chine. Xi n'a même pas besoin de convaincre : il suffit de regarder les humiliés frapper à sa porte. La Chine avance avec patience : elle n'offre pas une alliance militaire, mais une plateforme où chacun trouve son compte — infrastructures pour les Africains, couverture diplomatique pour les régimes sanctionnés, financements pour les émergents. Elle capitalise sur les humiliés et les lassés, pendant que Washington se complaît dans ses volte-face. La scène est limpide : Trump croit affaiblir ses rivaux, il ne fait que renforcer Pékin. Xi Jinping ne pouvait rêver meilleur agent de recrutement. Comme le disait Churchill : « En politique internationale, il n'y a pas d'amis permanents, seulement des intérêts permanents. » Aujourd'hui, ces intérêts parlent chinois.