« CMF. Quelle signification pourrait-on donner à ces initiales, autres que celles du Conseil du Marché Financier ? À force d'observer notre autorité de régulation, je suis plutôt tenté de dire que les lettres CMF signifient "Chey Ma Famma", c'est-à-dire "il n'y a rien" ! Circulez, il n'y a rien à voir ! » Voilà ce qu'écrivait Nizar Bahloul en 2008 à propos de l'autorité de régulation de la Bourse de Tunis. Il faut bien avouer que ce constat, qui date de 17 ans, reste d'actualité. Un scandale retentissant… qui ne fait pas de bruit L'un des plus gros scandales boursiers est venu perturber la tranquillité du Conseil du Marché Financier. L'ampleur de la fraude supposée chez TSI (la Tuniso-Séoudienne d'Investissement), portant sur plusieurs centaines de millions de dinars, a obligé le CMF à produire des communiqués laconiques affirmant que l'autorité de régulation enquêtait sur l'intermédiaire pour une « inadéquation des fonds propres par rapport aux ratios réglementaires requis ainsi que des soupçons de défaillances au niveau de l'organisation interne et de la gouvernance ». Mais le mal était fait. Dans d'autres bourses mondiales, un scandale de l'ampleur de celui de TSI aurait eu l'effet d'une bombe et aurait ébranlé toute la place. Mais ce n'est pas le cas en Tunisie, ce qui ajoute à la « tranquillité » du CMF.
Un gendarme absent sur trop de fronts Si l'on prête l'oreille aux bruits du marché boursier en Tunisie, le CMF aurait été défaillant en plusieurs occasions. Les boursicoteurs parlent de sociétés qui ont fait faillite suite à des actes de mauvaise gestion qui auraient dû être épinglés par le CMF, d'entreprises cotées en bourse qui ne publient pas leurs chiffres comme l'exige la loi sans que le CMF ne les sanctionne… On parle même d'introductions en bourse douteuses du fait que le prix de l'action aurait été gonflé, toujours sans que le CMF ne mette le holà. Beaucoup souhaitent que le CMF joue pleinement son rôle et protège réellement l'épargne investie en bourse.
Sensibiliser ou se défausser C'est d'ailleurs par ce rappel basique des fonctions et des devoirs du CMF que ce dernier a entamé son dernier communiqué intitulé : « sensibilisation des investisseurs ». Dans ce communiqué daté du 5 septembre 2025 – un vendredi en fin de journée –, le CMF demande aux investisseurs de « s'informer en amont de toute décision d'investissement et de faire preuve d'une vigilance accrue face à toute offre d'investissement attractive, en particulier lorsqu'elle promet des rendements anormalement élevés ». On aurait cru, sans doute naïvement, que le gendarme de la bourse est justement là pour détecter ces offres d'investissement aux rendements trop attractifs et ensuite déclencher les investigations nécessaires pour éviter que des investisseurs soient bernés. Le CMF ajoute qu'il « invite également les investisseurs à s'interroger sur les modalités de valorisation du produit proposé, de sa revente et sur les délais qui y sont associés, ainsi qu'à prendre contact avec le professionnel au cours de l'investissement afin de vérifier que celui-ci correspond toujours à leurs objectifs et à leur profil ». Un conseil plein de bon sens sans aucun doute, mais est-ce toujours possible ? Quand on dit « investisseur », l'imaginaire collectif pense tout de suite au riche homme d'affaires en costume hors de prix, dans une voiture de marque. Il en existe, c'est sûr, mais en minorité. Une grande partie des « investisseurs » sont des pères de famille de la classe moyenne supérieure qui cherchent à faire fructifier leur épargne pour financer au mieux les études de leurs enfants ou d'autres tracas de la vie quotidienne. Ce sont généralement des travailleurs qui ont franchi le pas de faire confiance à la Bourse et à ses mécanismes. Par conséquent, il ne leur est pas possible de veiller au grain sur leurs investissements par manque de temps et aussi par manque de connaissances. C'est de là que découle le principe de confiance dans les opérations d'investissement, et c'est là également que le CMF est censé protéger cette confiance.
Or, avec un tel communiqué, le gendarme de la Bourse dit aux pères de famille, aux petits boursicoteurs et à ceux qui hésitent encore à mettre quelques billes dans la Bourse : faites bien attention où vous mettez votre argent et prenez toutes les précautions nécessaires, il y a un risque qu'on vous arnaque. C'est comme si la police publiait un communiqué pour dire : barricadez-vous et fermez bien les portes de vos maisons, on risque de vous cambrioler. Une telle attitude n'est pas propice au renforcement de la confiance dans le marché et ne peut, en aucun cas, inciter un épargnant hésitant à confier son argent à un intermédiaire en bourse. La confiance s'instaure et se construit par la fermeté et la transparence. Plusieurs investisseurs reprochent au CMF d'avoir été permissif en plusieurs occasions. Pour ce qui est de la transparence, il reste beaucoup d'efforts à faire, notamment en termes de communication. Le Conseil du Marché Financier n'a pas encore daigné donner sa lecture et sa version de ce qui s'est passé avec la TSI. Ce n'est certainement pas avec un communiqué qui « sensibilise » les investisseurs que la confiance s'en trouvera renforcée.