Les dernières statistiques de l'administration de la Conservation foncière montrent que près d'un million deux cent mille titres fonciers sont recensés en Tunisie. Toutefois, aucun chiffre exact ne peut être avancé concernant le nombre de titres gelés. L'administration n'est pas en mesure d'avoir une idée sur les transferts des propriétés foncières, opérés en dehors des sentiers battus de la réglementation, car elle n'est informée qu'en cas d'enregistrement d'un acte de vente. Or, tout le monde ne passe pas systématiquement par ce circuit. Il n'empêche que l'on sait, notamment à travers le circuit bancaire, qu'un nombre impressionnant de titres fonciers n'est pas épuré. Les banques relèvent ces carences lors du traitement des dossiers de prêts exigeant des garanties réelles. Les terres agricoles sont les plus concernées par cette problématique. Les successions multiples n'ont fait qu'approfondir ces maux. Mais la campagne n'est pas la seule concernée par la situation cauchemardesque des contentieux immobiliers. Les projets urbains des années soixante et soixante-dix sont, également, touchés par ces problèmes d'identité foncière. Face à un tel constat, on est en droit de s'interroger sur la culture juridique chez les citoyens surtout si on se réfère à la nature et au nombre de litiges examinés annuellement par les différentes instances du Tribunal immobilier, seule structure habilitée au règlement des litiges immobiliers. L'appréciation est d'autant plus critique si l'on sait qu'une campagne de sensibilisation a été lancée depuis le début des années 1990 pour normaliser le circuit des affaires foncières et faciliter le transfert de propriété et le nantissement des titres. Ainsi, les taxes ont été réduites de 16 % à 6 %. Les actes de vente avaient, depuis, la possibilité d'être rédigés par l'administration. Pour faciliter les procédures, le ministère des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières a également opéré une décentralisation de ses structures avec la création de pas mal de 15 directions régionales des affaires foncières, en plus du fait que les bases de données concernant la propriété foncière ont été numérisées et la consultation à distance des titres est en cours de réalisation. Ces différentes mesures ont, certes, amélioré la visibilité concernant l'état de la propriété immobilière, elles ont également permis d'obtenir un pourcentage plus élevé de contrats rédigés selon les normes réglementaires par des rédacteurs agréés, mais, l'administration n'a pas d'idée précise concernant le volume des titres en litige car elle ne peut être informée du caractère contentieux d'un dossier qu'une fois il a été présenté au tribunal immobilier. Autrement, rien ne permet aux services de la Conservation foncière de connaître l'existence d'un tel ou autre contentieux. Effectivement, la Tunisie ne dispose pas, encore, de cartographie foncière mise à jour. L'administration n'a pas manqué d'informer les citoyens, à maintes reprises, par des spots publicitaires en essayant d'énumérer des cas de contentieux fonciers et de les sensibiliser à l'obligation légale de l'enregistrement immédiat des contrats pour éviter lesdits contentieux. D'ailleurs, la réduction des charges d'enregistrement de 16,8 % à 5 % a été introduite dans le but d'encourager les acheteurs à appliquer cette mesure. En plus, le contrat signé uniquement à la municipalité ne peut justifier officiellement la propriété. Pourtant, la réalité quotidienne montre qu'il y a encore des citoyens qui se limitent à signer leurs contrats à la municipalité. D'ailleurs, le volume des contentieux traités par le tribunal immobilier dénote d'une mauvaise application des procédures de la loi. L'administration continue à faire des efforts en offrant, aux citoyens, la possibilité de s'adresser aux fonctionnaires de la Conservation foncière pour rédiger les contrats dans un souci de se conformer à la réglementation. Mais ces démarches n'ont pas encore donné l'effet escompté au vu du nombre d'affaires examinées annuellement par le Tribunal immobilier. Le Conservateur de la propriété foncière a annoncé lors d'une récente conférence que 100.000 dossiers sont traités annuellement par le Tribunal immobilier. Il a affirmé que plus de 96 % de ces dossiers sont régularisés. 100.000 dossiers par an, c'est 8 % du nombre total des titres fonciers ! C'est un signal indiquant le volume énorme du contentieux immobilier. Donc, malgré les différentes mesures entreprises, le contentieux foncier demeure lourd à gérer et l'intégration des propriétés immobilières dans le circuit économique se fait encore d'une manière lente. Ses origines sont multiples. A part les problèmes de succession dans les terres agricoles, on trouve les lotissements de l'Agence Foncière de l'Habitat dont la situation foncière n'a pas été régularisée. Le dossier d'épuration foncière des anciens projets de la Société Nationale Immobilière de Tunisie continue à traîner. Une partie a, certes, été régularisée alors que le reste prend du temps, tout comme les projets immobiliers édifiés par les municipalités de plusieurs gouvernorats. Les nouveaux projets continuent, pour leur part, de créer des problèmes contentieux. Il y a des promoteurs immobiliers qui ne respectent pas leurs engagements envers les nouveaux propriétaires en matière de plan de lotissement et d'appropriation individuelle. Ainsi, ces nouveaux propriétaires se retrouvent dans l'obligation de régulariser leur situation à leur propre compte. Toute cette situation nécessite davantage de rigueur administrative en matière de diffusion de la culture juridique et de normalisation des procédures. Mounir Ben Mahmoud